Si ma tante en avait

Le 25 mars 2022

On ne va pas se mentir. Avec ses crimes, ses justiciers, son exaltation de la peur et du chaos pour mieux valoriser celui qui ramènera l’ordre et la quiétude, le polar est plutôt une affaire d’hommes. Et qu’est-ce qui fait l’homme dans l’homme ? Une virilité définie par un ensemble de qualités culturellement associées au genre masculin : la puissance sexuelle, l’héroïsme, la force physique, l'appétit de conquête, l'instinct guerrier (l’émotion restant au vestiaire). Jusque dans les années 70, tout va bien. Des héros célibataires endurcis et autres Dom Juan de pacotille fleurissent dans un genre gravement atteint de totalitarisme masculin, à l’image du rapport de force inégal à l’œuvre dans la société. Il faudra attendre l’évolution notable de la place et du statut des femmes à travers le monde pour que s’effrite, dans l’univers du polar, miroir du réel, cette domination dopée à la testostérone.

Dès lors, plus ça va, moins ça va. Les héros fatigués luttent pour conserver leurs attributs de virilité alors que les normes du genre masculin sont questionnées, bouleversées par des mouvements féministes toujours plus prégnants. Mais si la représentation traditionnelle de l’homme forcément viril tend à prendre cher, elle n’en demeure pas moins valide à bien des égards. Dans cette newsletter #18, je vous propose de faire un tour d’horizon de ce spécimen en voie de mutation : le macho. Un archétype jadis triomphant, aujourd’hui vacillant, mais toujours au cœur d’une identité masculine désormais plurielle dans le polar.

Bon week-end à tous et rendez-vous le 15 avril, le temps pour moi de savourer, et digérer, le festival lyonnais Quais du polar.

Laetitia

Par-delà le bien et le mâle

Trois époques, trois visions évolutives du héros masculin dans la société américaine. Avec une bonne dose de testostérone à tous les étages.  

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Dès avant son Sam Spade du Faucon Maltais (1930), le continental op d’Hammett (privé anonyme) fait son apparition dans Moisson Rouge (1929), un roman culte pour les amateurs du genre noir. Cet enquêteur viril (véreux sur les bords mais fort de certaines valeurs morales), précurseur du genre dur-à-cuir (hard-boiled), fera date. Un macho rédhibitoire qu'on ne peut s’empêcher de trouver séduisant. Dans Moisson Rouge, il se rend pour une affaire à Personville, petite cité minière du Montana corrompue jusqu’à la moelle, qu’il décide de nettoyer, montant les gangs les uns contre les autres. Un carnage. Une vision noire et sans concession, contemporaine, d’une Amérique urbaine gangrenée par la violence. Une société qui, aidée par la crise et la Prohibition, ouvrira grandes ses portes aux gangsters et mafias en tous genres. Foncez sans hésiter. Dès 15 ans.

Moisson Rouge (Red Harvest, 1929). Traduit de l'anglais (américain) par Pierre Bondil et Natalie Beunat (2009, Gallimard).

Pimp, est un roman culte d’une toute autre nature, largement autobiographique, où Robert Beck aka Iceberg Slim revient, à sa manière, romancée, brutale et sans filtre, sur sa carrière de mac dans le Chicago des années 40 à 60.  Un témoignage édifiant sur les bas-fonds de l’Amérique, plein de sueur, de sexe et de violence, dans une langue qui claque comme du rap. Une description de l’intérieur du quotidien sordide dans le ghetto noir, avant l’émergence de la Blaxploitation et des émeutes raciales. Pimp est ainsi le premier roman américain à décrire l’homme noir autrement qu’en faire-valoir ou victime d’un blanc. Et son auteur, Iceberg Slim, ex-proxénète, de devenir une icône pour des générations d’afro-américains, encensée par le monde du hip hop et du rap (Ice T, Ice Cube et j’en passe - le Ice dans leur nom n'est pas un hasard...). Incontournable. Choquant. Profondément misogyne. Mais tellement éclairant. À ne pas laisser entrer toutes les mains…

Pimp, mémoires d'un maquereau (Pimp, The Story of my Life, 1967). Traduit de l’Anglais (américain) par Jean-François Ménard (1998). Éditions Points.

 

Pas d’espoir, pas de rédemption non plus. Accrochez vos ceintures. Pike sonde les entrailles de l’Amérique violente et sordide des années Reagan. Dans l'’envers du décor du Welfare State des golden boys et autres yuppies de Wall Street, où la masculinité malmenée, humiliée, verse dans l’ultra violence.  Avec des personnages de dingos qui suintent la noirceur et la désespérance, ballottés au gré de leurs illusions perdues. Douglas Pike, ex-truand, alcoolique, junkie, est de retour dans sa ville natale. Il vit de petits boulots et combat ses vieux démons lorsque sa fille, depuis longtemps perdue de vue, meurt d'une overdose. S'ensuit ne descente dans les bas-fonds, chez les raclures de la jungle urbaine. Un premier roman qui est un coup de maître, d’un auteur à suivre de près.

Pike (2010) de Benjamin Whitmer. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos. Éditions Gallmeister (2012).

Faut avouer, c'est du brutal

Get Carter (1971) marque la naissance d’un nouveau cinéma de genre à l’anglaise, un polar social et radical. Source d’influence majeure, pour John Woo et Steven Soderbergh pour ne citer qu’eux. Dans le nord de l’Angleterre, à Newcastle, Jack Carter, gangster londonien, retourne au pays pour assister à l’enterrement de son frère. Mort par accident ou assassinat ? Carter mène l’enquête et ça fait du vilain. Dans une ambiance crépusculaire non dénuée d’humour, Michael Cain, virilissime, est un ange de la mort que rien ne peut tuer, même pas le ridicule. Loin des gangsters romantiques et tapeurs du Nouvel Hollywood qui émergent au même moment de l’autre côté de l’Atlantique chez De Palma, Coppola ou Scorsese, Michael Caine nous offre un nouveau héros impérial. Un film qui fait date.

La Loi du Milieu (Get Carter, 1971). Film Britannique de Mike Hodges d'après le roman de Ted Lewis, Jack’s return home (1970). 1h52. Avec Michael Caine, Ian Hendry, Britt Ekland.

Le Traître est un film mémorable, à la fois récit politique et œuvre intimiste. Un Biopic sur le destin de Tommaso Buscetta, le premier vrai « repenti » de la Cosa Nostra. Ses aveux ont abouti au maxi-procès de Palerme mené par le juge Falcone en 1986 et à l’arrestation de 475 mafieux. Le grand comédien Pierfrancesco Favino donne corps à ce magnifique personnage de tragédie, monstre et homme d’honneur, fils maudit par qui le scandale arrive. Un criminel endurci, certes, mais qu’on ne peut s’empêcher d’admirer aussi pour son courage, une humanité, une dignité et un verbe qu’on ne peut totalement ignorer. Cette fresque crépusculaire sur la décomposition d’un monde d'hommes sans valeurs, dégraissée de toute mythologie hollywoodienne, est une véritable pépite.

Le Traître (Il Traditore, 2019, Italie). Film de Marco Bellocchio. 2h33. Avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Fabrizio Ferracane.

The Power of the Dog est un western sombre et obsédant qui pose la question de la masculinité. Et c’est une femme, Jane Campion, qui en parle si magnifiquement. Comme point de départ : un antagonisme viscéral entre Phil et George, deux frères à la tête du plus gros ranch de la région, dans le Montana de 1925. Lorsque George épouse Rose, veuve diaphane et mère d'un ado sensible et efféminé, la fratrie finit de sombrer. Dans un somptueux combat viriliste, Jane Campion dénonce une masculinité rendue toxique à force de renonciations et d’interdits et nous interroge sur ce qui rend les hommes vulnérables : leurs peurs, leurs émotions et leur sexualité refoulées. Où, à travers sa déconstruction du mythe du cowboy, la réalisatrice nous indique que le macho nuisible n’est pas forcément celui qu’on croit. Et nul n'est ce qu'il paraît dans ce petit théâtre des apparences. Un western sombre et obsédant, véritable thriller, éprouvant, à combustion lente. Cette histoire en trompe l’œil résonne en nous, longtemps.

The Power of the Dog (2021, Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande) de Jane Campion, d’après le roman de Thomas Savage. 2h06. Avec Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst, Jesse Plemons, Kodi Smit-McPhee.

Une bonne tête de vainqueur

Tylor Cross est un polar furieux truffé de références qui nous téléporte dans une Amérique fantasmée de l’après-guerre. Poussiéreuse, corrompue et désenchantée. « Tyler Cross transporte 17 kilos de came, d'une valeur d'un demi-million à la revente au détail. Et il a exactement 21 dollars et 81 cents en poche. Il note l'ironie de la chose et se met en marche. » Braqueur efficace et mutique, gangster ultra classe à la gueule carrée et au regard insondable, ce héros archétypal aux motivations égoïstes ne recule pas devant les moyens (violents vous l’aurez compris) qui s’imposent pour arriver à ses fins. Un personnage noir, très noir, mais non dénué d’un second degré et de micro-pulsions humaines salutaires. Un dur de dur, à l'ancienne, que l’on retrouve avec plaisir dans trois volumes de grande qualité. 

Trilogie Tyler Cross de Fabien Nury (scénario), Brüno (dessin) et Laurence Croix (Couleurs). Tome 1, Tyler Cross – Black Rock (2013). Tome 2, Angola (2015). Tome 3, Miami (2018). Éditions Dargaud.

Ciné-club en famille 

Sidney Lumet réalise avec 12 hommes en colère un premier film en tous points remarquable. Ce huis-clos étouffant voit un adolescent latino, accusé du meurtre de son père, comparaître devant la justice et risquer la peine de mort. Dans la salle des jurés, les débats font rage alors qu’une unanimité doit être trouvée. Coupable ou non coupable ? Ce plaidoyer indispensable contre la peine de mort et le racisme ordinaire se double d'une étude psychologique fine du comportement humain soumis à la pression du groupe. Dans une pièce exiguë, douze hommes se haranguent, se cherchent, se défient, incarnés par douze acteurs qui incarnent autant d’Américains d’origines sociales variées, mais tous blancs, soumis à des préjugés d’époque et de classe sociale. Soit un monde d’hommes jugés par des hommes, sans aucune femme à l'horizon. A l'image d'une société de l'après-guerre totalement inégalitaire. Dans une atmosphère suffocante et orageuse. Avec un sentiment de claustrophobie qui va croissant alors que le thermomètre s’envole et accroît l’irritabilité des esprits déjà bien échauffés de ces hommes sur la corde raide. Dès 10 ans. 

12 Hommes en colère (Twelve angry men, 1957, États-Unis). Film de Sidney Lumet. 1h36. Avec Henry Fonda, Martin Balsam, John Fiedler, Lee J. Cobbs, E.G. Marshall, Jack Klugman.

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