UN PIED AU PARADIS, de Michele Foletti

Parce que cette belle adaptation célèbre avec talent les 20 ans de cette première œuvre de Ron Rash, grand auteur du Sud profond. Pour la construction narrative à 5 personnages, particularité du récit qui lui confère une profondeur singulière. Car cette adaptation graphique s’avère parfaitement fidèle à l’esprit de cet auteur majeur, l’une des plumes les plus fines et singulières de la littérature américaine. Car cette enquête policière, menée par un shérif à la vie affective douloureuse, sur fond de drame de jalousie et de vengeance, nous raconte de façon noire et intense la vision des petites gens dont on ne parle que trop peu.

20 ANS APRÈS. « C’était mon premier roman, donc pour moi, il revêt une importance un peu spéciale. C’est très agréable de voir renaître ainsi cette histoire qui tient une place particulière dans mon cœur. » Réjouissons-nous avec Ron Rash de l’anniversaire réussi de cette œuvre originale, enquête sur un crime potentiel, racontée à travers les voix simples et sincères du shérif, d’un fermier voisin, de sa superbe femme, de leur fils et de l’adjoint. Un pied au paradis, ou la naissance d’un grand auteur, célébrée par ce roman graphique qui rend justice à l’histoire très simple d’un meurtre, dont la résolution importe peu, au profit d’une narration particulièrement réussie.

UN SCÉNARIO FIDÈLE À L’ORIGINAL. Si le dessin de Michele Foletti peut dérouter, avec son trait un peu simple et raide et ses couleurs ultra tranchées, le scénario ultra fidèle à la structure du texte original, finit d’emporter l’adhésion. Dévoilant successivement les points de vue des cinq protagonistes principaux. Permettant de creuser chaque personnage, son histoire, sa singularité, son rapport aux autres. Respectant le niveau de langage de chacun, plus ou moins familier ou lettré. Enfin, des extraits du texte original ponctuent l’action, comme une voix off omniprésente ; celle de l’auteur dont la poésie en est ainsi fidèlement restituée. « J’ai observé Billy une dernière fois, en sachant que dans quelques minutes je quitterais cette vallée au volant de ma voiture Je jetterais un coup d’œil dans mon rétroviseur et regarderais le voyage disparaître comme s’il s’enfonçait dans l’eau. Je le laisserais là, ses mains façonnant l’avenir. »

LA FIN D’UN MONDE. Le décor est planté : l’Amérique rurale des années 50 où de pauvres fermiers taiseux aux nerfs d’acier survivent comme ils peuvent en attendant leurs expulsions. Une terre où tous les gens savent tout sur la vie des autres dans un monde dur et austère à la Steinbeck. Un pied au paradis annonce la fin d’une époque, précipitée par la construction d’un barrage de retenue qui provoquera l’immersion des terrains actuellement cultivés par des fermiers menacés par la sécheresse extrême de cet été meurtrier.  Une aridité qui rend d’autant plus difficiles les recherches sur la victime présumée : on ne retrouve pas le corps, ni dans la terre, trop dure à retourner, ni dans la rivière qui aurait bien fini par le livrer. Mais faut-il vraiment que justice soit faite, alors que la scène du crime sera, un jour, noyée sous les eaux, et avec elle, tous les secrets de la vallée ? L’eau du barrage permettra-t-elle au contraire de « recouvrir les choses », noyer tous les mauvais souvenirs et repartir à zéro ?