LA DERNIÈRE AFFAIRE DE JOHNNY BOURBON, de Carlos Salem

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Polar déjanté

Le pitch

Parodie de polars du genre dur à cuire où le héros détective est une brute épaisse, mais 100% honnête. Ici c’est Arregui qui s’y colle en privé d’origine basque installé à Madrid, d’humeur chagrine à l’approche de son 50ème anniversaire, et pour d’autres raisons encore. L’intrigue par ailleurs n’a aucune importance car c’est le ton cocasse et la fantaisie non dénuée d’émotion du récit qui emportent l’adhésion avant toute autre chose. Ce polar ludique a été imaginé par un auteur argentin (installé en Espagne), dont La dernière affaire de Johnny Bourbon est le 10ème roman traduit en français. Si le ton déjanté vous a plus, foncez sur les autres opus, tous aussi savoureux. Addictif.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce que J’aime Carlos Salem. Il est drôle, bavard et ultra sympathique. Il porte un bandana autour du crâne façon Hell’s Angels et il a tenu un bar à Madrid, le Bukowski. Car ses romans d’une loufoquerie folle sont pour lui une manière très personnelle et unique de philosopher. Parce que c’est un Argentin pur jus qui a fui la dictature à la fin des années 80 et que sa soif de liberté et son irrévérence transpirent de tous ses livres. Dingue et génial.

MOUVANT ET ÉMOUVANT. Carlos Salem a le talent rare et précieux de manier la parodie dans le registre pourtant codifié, le plus souvent lugubre, du roman noir.  Une mission à hauts risques qu’il relève avec brio puisqu’il arrive à trouver cet équilibre instable où la parodie n’empêche ni le suspense ni surtout l’émotion. Il nous fait ainsi passer du rire aux larmes, sans prévenir, au détour d’une phrase, en évoquant avec finesse la force des liens amicaux, amoureux, filiaux.

« Tu as toujours été en quête de perfection, Txema, et au bout du compte tu as réussi à devenir un parfait con. Mais tu es mon ami et je m’inquiète pour toi. »

Ou encore « Si tu as la mauvaise idée de mourir, je te tue » dit le détective à son père gravement malade.

« On aurait dit un homme au bord de lui-même. »

Carlos Salem est ainsi un des rares auteur à nous offrir un polar parodique et sentimental. On est parfaitement conquis.

 QUI DIT POLAR PARODIQUE DIT QUAND MÊME POLAR. L’auteur se régale avec les codes du genre, pour mieux les détourner. A commencer par le titre du 1er chapitre – Le dahlia rouge – coucou James Ellroy. « Depuis des décennies, la mythologie du roman et du film noirs s’emploie à nous convaincre que les blondes sont fatales et que la chevelure des rousses porte la tragédie. Elle se trompe. En réalité, les femmes les plus dangereuses sont celles aux cheveux verts. » Et fait incroyable, l’intrigue déjantée fait quand même sens, suffisamment pour nous y intéresser pleinement. On a vraiment envie de savoir qui est cette « fille aux cheveux verts » qui fait tourner en bourrique notre détective Txema Arrigui et qui semble tremper dans un trafic de cocaïne. On est intrigué par la mort suspecte d’un homme politique corrompu. Jusqu’à quel point ? Voici quelques-unes seulement des nombreuses ramifications que soulève La Dernière Affaire de Johnny Bourbon qui joue avec humour sur les archétypes du genre. Le détective pur et dur, solitaire et mélancolique, qui ne sait pas dévoiler ses émotions si ce n’est avec ses poings. La femme fatale qui emmène les hommes à leur perte. Une tension dramatique maintenue envers et avec l’humour. Sans oublier une peinture au vitriol des mœurs politiques espagnoles. « Joaquin était né cinquante-cinq ans plus tôt dans la région de Valence, jadis réputée pour ses oranges avant de se reconvertir dans l’exportation de politiciens corrompus vers toute l’Espagne. De son côté, toute l’Espagne s’appliquait à dénoncer la corruption qui régnait à Valence, peut-être pour oublier qu’aucune région n’avait été épargnée par ce mal, pour ne pas dire pratiquement aucune municipalité. » Mais comment fait-il ?

TOUS PLUS DÉJANTÉS LES UNS QUE LES AUTRES. Autre grande force du génie de Salem : la création de personnages plus grands que la vie. Absurdes et crédibles. Parfaitement touchants parce qu’improbables. Arrigui lui-même qui a la fâcheuse tendance à ne bien réfléchir que dans les sex shops.  Juan Carlos de Bourbon en assistant détective, facétieux et philosophe. Claudia, le grand amour défunt d’Arrigui, réincarnée en voix de GPS. L’associé Max, toujours aux bons soins, ancien voleur reconverti en super détective omniscient. Sans oublier de merveilleux portraits de femmes de tous âges, en tous genres. Pourtant derrière la farce se glissent beaucoup de sentiments, la force des regrets, l’angoisse de la mort et de la fin de vie. Un grand roman.

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La fiche

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Je vous recommande chaudement les neuf autres romans de Carlos Salem.

  • Aller Simple (Camino de Ida, 2007). Traduit de l’espagnol par Danielle Schramm. Ed Moisson Rouge (2009).
  • Nager sans se mouiller (Matar y guardar la ropa, 2008). Actes Sud/Babel Noir (2010). Traduit de l’espagnol par Danielle Schramm
  • Je reste roi d’Espagne Pero sigo siendo el rey, 2009). Actes Sud/Babel Noir (2011). Où l’on découvrait le personnage de l’ex-monarque, déjà facétieux et inconséquent, et tellement drôle. Traduit de l’espagnol par Danielle Schramm
  • Un jambon calibre 45 (Un jamón calibre 45, 2011), Actes Sud/Babel Noir (2013). Traduit de l’espagnol par Claude Bleton.
  • Le plus jeune fils de Dieu (El huevo izquierdo del talento, 2013), Actes Sud/Babel Noir (2015). Traduit de l’espagnol par Amandine Py
  • Attends-moi au ciel (Muerto el perro, 2014) Actes Sud/Babel Noir (2019). Traduit de l’espagnol par Judith Vernant.

En romans jeunesse, la série du tigre Blanc

  • Le fils du Tigre Blanc (El hijo del Tigre Blanco, 2013). Actes Sud Junior (2013). Traduit de l’espagnol par Judith Vernant.
  • La Malédiction du Tigre Blanc Junior (La maldición del tigre blanco, 2013). Actes Sud Junior (2015). Traduit de l’espagnol par Judith Vernant.