BÉTON ROUGE, de Simone Buchholz

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Hambourg by night

Le pitch

Un matin de septembre à Hambourg, il fait encore chaud. La procureure Chastity Riley est appelée au petit matin sur une étrange scène sans cadavre. Elle enquête en duo avec un nouveau partenaire, Ivo Stepanovic. L’intrigue est secondaire dans ce court polar lyrique et sensible. L’important est ailleurs. Dans les rues et cafés interlopes de Hambourg. Dans le style lapidaire et émouvant de l’autrice. Dans le personnage hautement attachant et complexe de Chastity dont l’histoire constitue au bout du compte le principal ressort du roman.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car cette troisième aventure (traduite en français) de la magistrate destroy est un régal de lyrisme, fidèle à la veine psychologique et sociale chère à l’autrice. Car les très bons polars allemands ne courent pas les rues. Pour le style précis et poétique qui lève le voile sur une certaine vision d’un monde âpre, marginal, mélancolique et alcoolisé. Car la procureure Chastity Riley est un des plus beaux personnages qu’on ait croisés dans le roman noir ces derniers temps, de ceux qui finissent par exister dans nos vies à force de complexité et d’humanité. Car si l’enquête que mène Chastity est réussie, c’est elle que l’on entend encore une foisle livre refermé ; sa gouaille, toute de tendresse et de rage mêlées. Vivement le prochain.

POUR CHASTITY. « Je me demande fréquemment comment font les gens pour supporter ce genre de vie, celle où, quand on colorie, rien ne doit jamais dépasser, jamais. Si ça se trouve, en fait, ils l’apprécient. Et je me demande pourquoi je suis née avec un crayon à la main, qui ne me laisse des marques visibles qu’à l’extérieur de la marge. » Chastity Riley est un personnage au charme indéniable. Une pure héroïne qui trimballe son mal de vivre au fond des bars et dont la lucidité alcoolisée n’a d’égale que la sensibilité. « Je suis nulle en sentiments », explique celle dont la sensibilité nous bouleverse tant. Cette héroïne forte et fragile questionne le rôle de la femme dans la société, aussi bien dans son look, que dans son rapport à l’alcool, au sexe ou son absence de désir de maternité. Côté crime comme côté cœur, le monde de la magistrate vacille sévèrement dans ce troisième opus de la série. Au fil d’échanges de sms ou de discussions intenses et bouleversantes, Simone Buchholz a l’immense don de créer l’émotion et d’apporter un supplément d’âme à ses personnages à fleur de peau. Une procureure mélancolique dont le spleen dépeint sur la cité hambourgeoise et inversement, jusqu’à opérer une sorte de fusion qui nous permet de découvrir les multiples facettes de la ville tout comme celles de Chastity.

POUR HAMBOURG, SON PORT, SON MAL ÊTRE. À Hambourg comme ailleurs, le lutte des classes opère en arrière-plan comme dans toutes les grandes villes portuaires avec le vent du large, le brouillard des petits matins humides, les mouettes dans le lointain… Hambourg, ville-port et ville-monde, ville punk-rock. Et plus particulièrement Sankt Pauli, son quartier rouge, celui des fêtards, des bars et des boîtes de nuit. Un quartier populaire dont on arpente les rues glauques et glissantes éclairées aux néson, au bras d’une Chastity qui s’y réfugie pour noyer son mal être. Chastity est un oiseau nocturne, elle est chez elle dans les rues obscures, s’y sent en sécurité, moins seule et plus forte. Et puis, « la nuit, dans les rues, le bar le plus proche n’est jamais loin ». Hambourg, au cœur du récit donc, mais pas que. Béton Rouge nous offre en prime une balade en Bavière le temps d’une incursion dans un village peu amène. « La Bavière telle que je la connais, déclare Stepanovic. Un pur mélange de méfiance et d’agressivité. » Où l’intrigue mènera notre duo d’enquêteurs du monde impitoyable des grandes entreprises à la maltraitance institutionnalisée dans les pensionnats pour enfants. Autant dire une visite guidée de l’Allemagne loin des clichés.  Mais toute en pudeur.

UN STYLE LAPIDAIRE ET LYRIQUE. « Je tente de lui envoyer un sourire, mais j’échoue. Il rebondit derrière la cage sur la façade en verre de l’immeuble et glisse sur le sol dans un vilain couinement. Je pense que personne ne le ramassera aujourd’hui. » Dans une écriture parfois laconique mais toujours précise et acérée, l’autrice sait l’art de composer des phrases teintées de lyrisme, dans une succession de chapitres brefs aux titres évocateurs où chaque mot résonne avec belle efficacité poétique. À la manière d’un haïku qui sait célébrer l’émotion et l’évanescence des choses. Sans omettre une mélancolique lucidité teintée d’humour noir qui finit d’emporter l’adhésion.

Quelques titres têtes de chapitres piochées dans la table des matières. Quand tous les lampadaires auront été abattus à coups de fusils, vous verrez que le brouillard ne se mange pas – Le Far West (commence juste derrière Hambourg) – Une fiente de mouette n’est pas une broutille – L’essentiel, c’est que le jardin d’en face soit nickel – Toujours faire passer la merde de haut en bas – Les choses que les gens font quand il y a un problème – En général, il pleur des saletés – Toscane mon cul.
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Quartier Rouge (2015). Traduit de l’allemand par Joël Falcoz. C’est le début du printemps à Hambourg et tout pourrait être parfait dans le meilleur des mondes si un tueur ne laissait dans son sillage des cadavres mutilés de strip-teaseuses exposés en une mise en scène macabre au bord de l’Elbe. Pour mettre fin à l’hécatombe, le procureur Chastity Riley préfère mener l’enquête directement au cœur du quartier rouge plutôt que depuis son bureau à la décoration catastrophique.

Nuit Bleue (2021). Traduit de l’allemand par Claudine Layre. Deuxième enquête traduite avec Chastity Riley, mise sur la touche. Toujours aussi excellent.