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D’après un fait divers sordide de 2002 qui a d’abord fait l’objet d’un documentaire. À Roubaix, deux policiers, l’un expérimenté, l’autre novice, soupçonnent deux jeunes femmes droguées et alcooliques d’avoir tué leur vieille voisine. Un conte de Noël très noir, magnifique, qui suinte la misère de partout. Un polar aux résonnances spirituelles qui s’avance au fur et à mesure de sa narration (en deux parties) vers une forme de vérité judiciaire et dramatique. Un film sensible, atypique au regard de œuvres précédentes de Desplechin, plus portées vers l’intime. Un polar à la Simenon, humain et atmosphérique.
Parce que Desplechin, figure de proue d’une nouvelle Nouvelle Vague dans les années 90, sait l’art de montrer, sur le ton du polar, la misère sociale et humaine d’une ville. Car Roschdy Zem est absolument exceptionnel. Parce que c’est un film des plus singuliers, presque désespéré, qui cherche à débusquer l’humanité derrière les monstres.
UNE EXPÉRIENCE DE CINÉMA. Inspiré d’un documentaire immersif qui avait fait sensation pour avoir enregistré le terrible aveu d’un assassinat (Roubaix, commissariat central, affaires courantes de Mosco Boucault, 2008) le film de Desplechin lui reste étonnamment fidèle dans son découpage, en deux parties bien distinctes. Tout en demeurant totalement singulier. Car il reste le film d’un auteur qui retrouve sa ville natale, Roubaix, qu’il avait quittée réenchantée pour Un conte de Noël (2008). Et il tente, à domicile, cette aventure peu commune : réaliser le remake fictionnel d’un documentaire. Une adaptation presque à la lettre, que le réalisateur explique en ces termes (dans un interview au Monde). « C’est une idée qui vient du théâtre, sans doute pas étrangère à mon expérience à la Comédie-Française, où j’ai mis en scène Père, d’August Strindberg : j’ai considéré le documentaire originel comme un texte à part entière, devant lequel je me suis incliné, le reprenant tel quel, hormis d’infimes ajouts. L’art de la mise en scène, c’est de servir un texte. »
ROUBAIX, DÉLABRÉE. Fidèle au documentaire qui naviguait dans la ville au gré des urgences de Police secours, le film (dans sa première partie) va suivre le commissaire Daoud et son équipe au travers d’une ville en souffrance, où la misère sociale et humaine est prégnante. L’une des villes les plus déshéritées de France, qui gère son lot quotidien de drames, petits et grands : bagarres de voisinage, escroquerie à l’assurance, fugues de mineurs, viols, incendies…La ville égrène ses malheurs dans la nuit rougeoyante. Mais Roubaix n’est pas réductible à cette seule survie. C’est aussi une ville d’immigration, étonnamment, malgré sa situation géographique, aux confins de la France, à la frontière de la Belgique. Et Desplechin fait alors le choix de s’écarter du réalisme documenté (à la Dardenne, autres nordistes réputés) pour faire entrer un peu de lumière et faire reculer la noirceur. L’auteur avoue avoir filmé la ville de son enfance avec culpabilité. Le résultat est touchant au possible. « C’est une ville que je n’arrête pas de filmer avec culpabilité, parce que je ne la connais pas…. C’est comme si je n’avais pas vraiment vécu ma vie. Mes personnages se confrontent à cette question que j’ai toute mon enfance évitée. »
DAOUD, UNE LUMIÈRE. Le commissaire, enfant du cru, doit faire régner l’ordre et punir les coupables. C’est son job, et il le fait bien. D’origine maghrébine, de souvenirs amers à foison mais déterminé, inflexible, lucide. Un flic devenu psychanalyste, par la force des choses et de son humanité. Un supplément d’âme que l’on discerne derrière sa fonction, notamment grâce aux nombreux gros plans révélant tout à coup un caractère, une expression. Un miracle de Noël fait homme, que Roschdy Zem incarne à la perfection. Là où il passe, la lumière s’allume. Cette humanité, Desplechin la traque partout. À rebrousse-poil du polar traditionnel, le crime comme symptôme social n’est pas le sujet. On n’y débusque pas des monstres, mais des êtres humains. Et l’on essaie de répondre à la question ; comment est-ce possible ? Léa Seydoux et Sara Forestier sont toutes deux intenses et justes dans les rôles hautement risqués des deux suspectes, sans revenus, alcooliques, et en couple. Deux somnambules, avec toutes les excuses sociales du monde, effarées elles-mêmes par la vérité. Sans oublier la performance d’Antoine Reinartz en jeune recrue admirative et déboussolée. À la réflexion, ce n’est d’ailleurs pas un film policier, mais un film sur les policiers.
Titre original :
Roubaix, une lumière
Réalisation :
Arnaud Desplechin
Scénario :
Léa Mysius, Arnaud Desplechin
Casting :
Roschdy Zem, Sara Forestier, Léa Seydoux, Antoine Reinartz, Chloé Simoneau
Bande Originale :
Grégoire Hetzel
Nationalité :
Française
Langue de la VO :
Français
Année de sortie :
2019
Durée :
1h59
Couleur / noir et blanc :
Couleur
Je suis une très grande fan de Desplechin, ce cinéaste touchant, en quête éternelle de filiation. Ne m’en voulez pas si je parle de films qui ne relèvent pas forcément du polar. Ils valent tellement le détour. Filmo sélective :
La vie des morts (1991). Moyen métrage de 54min. Avec Thibault de Montalembert, Laurence Côte, Roch Leibovici. Patrick, vingt ans, a tenté de mettre fin à ses jours. Alors qu’il est hospitalisé, dans le coma, les quatre branches de sa famille se retrouvent dans une maison bourgeoise du nord de la France. Les personnalités et les inimitiés se dévoilent, ainsi, certains évoquent sa relation avec sa petite amie, sa précédente tentative de suicide ou de vieilles histoires concernant les relations avec sa mère.
La sentinelle (1999). 2h19. Avec Hubert Gillet, Emmanuel Salinger, Thibault de Montalembert. Mathias, qui vivait en Allemagne, décide de regagner la France. Dans le train, il croise un homme qui le menace, l’insulte et disparait. Il découvre le lendemain dans sa valise une tête humaine réduite à la manière des Indiens Jivaros. Mathias ne pense plus qu’à cette tête, tente de percer son mystère et s’isole totalement du monde.
Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) (1996). 2h58. Avec Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Thibault de Montalembert. Les histoires d’amour et les histoires tout court de Paul, maître-assistant dans une faculté de la périphérie parisienne où il ne compte pas faire de vieux os.
Rois et Reines (2004). 2h30. Avec Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Catherine Deneuve, Valentin Lelong-Darmon, Shulamit Adar, Gilles Cohen, Hippolyte Girardot. Deux histoires disjointes : d’une part le couronnement de Nora Cotterelle, qui s’apprête à se marier, et d’autre part la déchéance d’Ismaël Vuillard, interné par erreur dans un asile psychiatrique et sur le point d’en sortir en piètre état.
Un conte de Noël (2008). 2h. Avec Catherine Deneuve, Jean-Paul Roussillon, Anne Consigny, Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Hippolyte Girardot, Melvil Poupaud, Chiara Mastroianni, Jean-Paul Roussillon. Une histoire de famille. Un vrai règlement de conte au moment de Noël.
Trois souvenirs de ma jeunesse (2015). 2h. Avec Quentin Dolmaire, Lou Roy Lecollinet, Mathieu Amalric. Tout est dans le titre…
Les Bonnes (1947). Pièce de théâtre tragique et violente de Jean Genet. Ses personnages et les circonstances de son drame fictif présentent de nombreuses similitudes avec l’affaire des sœurs Papin, véritable fait-divers sanglant survenu quatorze ans plus tôt, même si l’auteur a toujours nié s’en être inspiré
La cérémonie (1995). Film de Claude Chabrol, d’après Ruth Rendell (L’analphabète/A Judgement in Stone, 1977). Avec Isabelle Huppert, Sandrine Bonnaire, Jacqueline Bisset. Sophie, bonne analphabète et secrète mais dévouée, est engagée au service d’une famille bourgeoise de Saint-Malo. Son amitié avec la postière, curieuse et envieuse, va déclencher une série de drames. Claude Chabrol peint avec noirceur le milieu bourgeois provincial.
Les Blessures assassines (2002). 1h34. Film de Jean-Pierre Denis. Avec Sylvie Testud, Julie-Marie Parmentier, Isabelle Renauld. Les sœurs Christine et Léa Papin, dont la jeunesse a été difficile, sont admises en 1927 comme bonnes au service de Mme Lancelin. Celle-ci représente pour Christine une figure maternelle idéale, malgré une certaine sévérité. La situation va se détériorer à cause de la mauvaise influence de la mère des deux jeunes femmes. S’enfermant dans le mutisme pendant deux ans, Christine et Léa finiront par assassiner sauvagement Mme Lancelin et sa fille en 1933. Une affaire criminelle qui fera couler beaucoup d’encre.
L’affaire SK1 (2015). Film de Frédéric Tellier. Avec Raphaël Personnaz, Nathalie Baye, Olivier Gourmet. D’après l’affaire Guy Georges en 1991, le tueur de l’est parisien ». Une plongée au cœur de 10 ans d’enquête, au milieu de policiers opiniâtres, de juges déterminés, de policiers scientifiques consciencieux, d’avocats ardents qui, tous, resteront marqués par cette affaire devenue retentissante.
Polisse (2011). Film de Maïwenn. 2h07. Avec Karin Viard, Joey Starr, Marina Foïs. Le quotidien des policiers de la BPM ce sont les gardes à vue de pédophiles, les arrestations de pickpockets mineurs mais aussi la pause déjeuner où l’on se raconte ses problèmes de couple, la solidarité entre collègues, les fous rires incontrôlables.