L.627, de Bertrand Tavernier

Film
Bien
Très bien
Un Must
Chronique policière

Le pitch

La vie d’un groupe de policiers de la brigade des stups, décrite du point de vue des enquêteurs, dans leur travail de fourmi quotidien. Avec ses investigations, ses découragements et ses espoirs. Et leur manque absolu de moyens. Rarement le métier de flic aura été dépeint avec une telle acuité. Un brûlot social passionnant. Avec des acteurs émergents, bluffants de réalisme. Un grand Tavernier.

PS : Le titre du film L. 627 fait référence à l’ancien article du Code de la santé publique français, qui prohibe la consommation ainsi que le trafic de stupéfiants.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car ce film coup de gueule étonne encore par son réalisme nerveux. Parce que ce brûlot dénonce une administration sclérosée, sans moyens, aux ordres d’une hiérarchie obsédée par les statistiques. Pour le tour de force réussi par Tavernier : réaliser un film-dossier qui n’a jamais l’air de l’être, passionnant de bout en bout (2h20 quand même !).  Pour la prise de position sociale et politique du film qui montre le sacerdoce des flics de terrain. Parce qu’on s’attache comme rarement à la galerie de flics bigarrés, évitant ainsi l’écueil d’une peinture manichéenne des personnages de policiers. Car c’est un film touchant, parfois drôle, souvent poignant, réalisé à hauteur d’homme. Parce que la force du constat du film et son écriture qui respire le naturel font de L.627 un film passionnant, toujours d’actualité. Un film absolument singulier.

AU PLUS PRÈS DE LA RÉALITÉ. Bertrand Tavernier est parti d’un riche matériau : les discussions avec un enquêteur spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue – Michel Alexandre – lui décrivant son quotidien, les rues, les planques, la routine, les moyens dérisoires, les procédures absurdes. Une accumulation de faits que Tavernier a saisi pour appréhender une réalité sociale trop peu connue et mettre en scène le travail de ces flics de terrain dont on aurait pu craindre le manque de cinégénie. Or L.627, pure chronique de routine policière, sans intrigue classique telle qu’attendue dans un film policier, s’avère passionnant. Avec un message politique et social qui se comprend parfaitement par une mécanique d’accumulation des faits, des situations. Nous intégrons la lutte sans fin des forces de l’ordre. La dimension insurmontable de leur tâche. Tavernier ne cherche pas à brandir de grands principes, ou à construire un film à thèse. Il veut se poster au plus près du réel, au point d’inclure dans son film plusieurs plans volés, filmant des deals réels et s’inspirant de moments vécus par Michel Alexandre (présent sur le tournage et garant du réalisme du propos).

À LA MARGE. L. 627 est construit comme une boucle. Rien ne change entre le début et la fin car la situation de fond ne bouge pas d’un iota. Nous repartons du film, armés de cette violente lucidité : le quotidien des policiers ne changera pas car leur combat est sans fin. Le fait même que les bureaux de groupe soient installés dans un algeco témoigne de la disproportion entre les moyens offerts aux policiers et le mal à combattre. Du dénuement des forces de police, on admet la nécessité qu’ils ont de recourir à des méthodes peu légales, comme le confirme Lulu dans une des scènes les plus fortes du film : « Si on veut des résultats, on est dans l’illégalité 24h/24 ».

UN FILM CHORAL. L. 627 ne ressemble à aucun autre film policier. En restant à hauteur du regard des policiers, Tavernier réussit à « éviter tous les clichés des films policiers français traditionnels ». Point de super flic ou de super méchant. Pas d’héroïsme exacerbé ou de trahison définitive. Il y a des bons flics et des mauvais, comme dans la vie. Les bons jours et les mauvais. Le cinéaste vise le quotidien (ce qui n’exclut pas le spectaculaire ni certaines situations cocasses), instaurant une familiarité rare avec les personnages qui anime notre sentiment de révolte.  La distribution exceptionnelle (sans tête d’affiche) est pour beaucoup dans l’empathie que l’on ressent pour une collection de personnages finement écrits et qui ont tous leurs aspérités. Des acteurs encore inconnus ou émergents que l’on recroisera : Didier Bezace (son plus beau rôle sûrement, le héros Lulu, double de Michel Alexandre) en inspecteur passionné, qui jamais ne baisse les bras. Un jeune Philippe Torreton, plein d’énergie. Jean-René Milo en flic de bonne volonté mais maladroit. Jean-Paul Comart dans le rôle de Dodo, chef de groupe dangereusement gaffeur. Et que dire des magnifiques rôles féminins dont Tavernier est si friand. La pétillante Charlotte Kady en flic énergique et féminine. Enfin il y a Cécile, la prostituée toxicomane qui renseigne Lulu. La voix de la vérité. Une fois de plus, l’humanisme de Tavernier se ressent par la foi intense qu’il porte à ses personnages, malgré ou grâce à leurs faiblesses, leurs manquements, leurs combats acharnés.

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La fiche

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Couleur / noir et blanc :

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Bien difficile de donner une liste exhaustive de tous les polars dignes d’intérêt de cet immense et regretté réalisateur.  Il fut d’abord assistant-réalisateur, attaché de presse (notamment pour Stanley Kubrick) et critique avant de passer à la mise en scène. Sera tout au long de sa vie le plus fervent et passionnant défenseur du 7ème art.

Tentons l’impossible.

L’horloger de Saint Paul, son premier film et première collaboration d’une relation qui fut fructueuse avec Philippe Noiret. (Que la fête commenceLe Juge et l’AssassinCoup de torchonLa Vie et rien d’autreLa Fille de d’Artagnan).

Le Juge et l’Assassin (1976). Avec Philippe Noiret, Michel Galabru, Jean-Claude Brialy. Fin du XIXème, une chasse à l’homme entre un déséquilibré qui erre sur les routes de campagne un juge en quête de notoriété. Deux acteurs au sommet. Un film beau et douloureux.

La mort en direct (1980). Avec Romy Schneider, Harvey Keitel. Dans un futur proche où la science a réussi à vaincre les plus grandes maladies, une écrivaine à succès apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable et qu’il ne lui reste plus que quelques semaines à vivre. Elle est contactée par une chaîne de télévision qui souhaite la filmer pour son émission La Mort en direct. Refusant l’offre, elle sera filmée à son insu par Roddy, cadreur, grâce à une micro-caméra implantée dans ses yeux. Une dénonciation (visionnaire !) de la télé-réalité et de la dictature du voyeurisme.

Coup de torchon (1981). Avec Philippe Noiret, Isabelle Huppert, Jean-Pierre Marielle, Stéphane Audran, Eddy Mitchell. Une adaptation très libre et réussi de Jim Thompson (lien interne).

L’Appât (1995).  Adapté d’un roman de Morgan Sportès, L’Appât, lui-même tiré d’un fait divers ayant eu lieu à Paris dans les années 1980 (l’affaire Hattab-Sarraud-Subra). Une jeune femme sert d’« appât » en boîtes de nuit, faisant semblant d’être séduite et permettant, comme le cheval de Troie, à ses acolytes de s’introduire chez sa proie. D’abord conçu afin de réaliser des cambriolages, ce scénario tourne à la torture et à la folie sanguinaire. Très pénible et très réussi. Avec Marie Gillain, Olivier Sitruk, Bruno Putzulu, Richard Berry.

Dans la brume électrique (2009) est est inspiré du roman Dans la brume électrique avec les morts confédérés de James Lee Burke publié en 1993. (lien interne). Avec Tommy Lee Jones, Mary Steenburgen, John Goodman, Peter Sarsgaard.

 

Voyage à travers le cinéma le cinéma français. Documentaire de Bertrand Tavernier sorti en 2016 dans les salles, puis une série documentaire réalisée en 2017. Les deux totalisant un voyage fantastique de 12 h 15. Il reprend le titre et le principe des films de Martin Scorsese, Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain1, sorti en 1995, et Mon voyage en Italie, sorti en 1999.

« Ce travail de citoyen et d’espion, d’explorateur et de peintre, de chroniqueur et d’aventurier qu’ont si bien décrit tant d’auteurs, de Casanova à Gilles Perrault, n’est-ce pas une belle définition du métier de cinéaste que l’on a envie d’appliquer à Renoir, à Becker, au Vigo de l’Atalante, à Duvivier, aussi bien qu’à Truffaut ou Demy. A Max Ophuls et aussi à Bresson. Et à des metteurs en scène moins connus, Grangier, Gréville ou encore Sacha, qui, au détour d’une scène ou d’un film, illuminent une émotion, débusquent des vérités surprenantes. Je voudrais que ce film soit un acte de gratitude envers tous ceux, cinéastes, scénaristes, acteurs et musiciens qui ont surgi dans ma vie. La mémoire réchauffe : ce film, c’est un peu de charbon pour les nuits d’hiver. »

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L.627 est vraiment un film singulier. Unique en son genre. Celui qui s’en rapprocherait le plus ?

Les flics ne dorment pas la nuit (The New Centurions, 1972). Un film américain de Richard Fleischer. Avec George C. Scott, Stacy Keach, Jane Alexander. Roy Fehler, jeune étudiant en droit, s’engage dans la police pour subvenir aux besoins de sa famille. Partenaire du vétéran Andy Kilvinski, le jeune homme apprécie cette nouvelle vie et délaisse peu à peu ses études. Ce classique de Richard Fleischer montre la dure vie de flic (à L. A. en l’occurrence), sans spectaculaire excessif. La routine. Le travail quotidien…même avec le temps, le film garde une force étonnante.