TOKYO VICE, de Jake Adelstein

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Un yankee au pays des yakuzas

Le pitch

Contraint de renoncer à poursuivre son enquête sur la mafia japonaise, le journaliste américain Jake Adelstein a fini par publier Tokyo Vice. Un livre-enquête passionnant et déstabilisant où le jeune naïf natif du Missouri y dénonce diverses formes de criminalité : trafic d’êtres humains, blanchiment d’argent, crime organisé… Jusqu’à devenir une cible à abattre pour les yakuzas*. Une incursion exceptionnelle dans l’univers secret du crime organisé au Japon. Un ouvrage majeur de la littérature du réel qui choisit de prendre son temps. Fans d’actions et de rebondissements à tous les étages, passez votre chemin. Pour les autres, un OVNI à découvrir !

*Le crime organisé à la japonaise, qu’on appelle plutôt gokudo (« l’ultime voie ») au pays du Soleil levant.

Pourquoi je vous le conseille ?

Pour poser un tout autre regard sur le Japon. Car on y découvre l’histoire singulière de ce jeune étranger incongru immergé dans une culture dont il découvre petit à petit les codes. Pour l’originalité de la forme et la singularité du propos : un journaliste américain ayant couvert les affaires criminelles au Japon nous relate ses aventures dans un texte qui mêle fiction, autobiographie, récit initiatique et enquête d’investigation.  Car cette autobiographie rédigée à la manière d’un roman noir offre une fascinante expédition dans les bas-fonds méconnus de la société japonaise. Pour la passionnante description des coulisses du plus grand quotidien japonais. Un autre monde, décidément…

UN UNIVERS IMPITOYABLE : LA PRESSE NIPPONE. Parti au Japon étudier la littérature comparée (un peu par hasard), l’Américain Jake Adelstein est le premier gaijin (« étranger ») à intégrer, en 1993 (toujours un peu par hasard), la rédaction nationale du prestigieux quotidien Yomiuri Shinbun, le plus lu au pays, un État dans l’État avec son tirage faramineux de plus de 10 millions d’exemplaires. Une véritable institution, une pieuvre économique, un trou noir qui avale toute vie personnelle où il œuvrera 12 années au service police-justice. Il y apprendra, à la dure, comment se plier aux techniques ô combien édifiantes de la profession. Et notamment : comment arriver le premier sur les lieux d’un crime, dénicher les témoins, suivre ses propres pistes en parallèle des enquêtes officielles, damner le pion aux concurrents en tissant son propre réseau d’informateurs, y compris chez les yakuzas (avec des moyens plus ou moins avouables) … Témoignage sans équivalent des coulisses du plus grand quotidien au monde tout autant que récit d’apprentissage d’un métier à hauts risques : Tokyo Vice, s’il surprend par son style, son rythme, ses digressions, propose une vision sans équivalent de la société japonaise en général et de sa presse toute puissante en particulier.

UN AUTRE UNIVERS IMPITOYABLE : LES YAKUZAS. Tokyo Vice débute en 2005 par son quasi-dénouement : « Vous supprimez cet article ou c’est vous qu’on supprime. Et peut-être bien votre famille aussi. Mais on s’occupera de vous en premier, pour que vous appreniez quelque chose avant de mourir. » L’homme de main élégamment vêtu parlait très lentement, de la manière dont les gens parlent aux idiots, ou aux enfants, ou de la manière dont les Japonais parlent parfois aux étrangers complètement paumés. » Tokyo Vice se lit ainsi comme un petit Larousse illustré du Yamaguchi-gumi, la plus grande organisation criminelle du Japon, et de son big boss, Tadamasa Goto.  Adelstein a percé un secret embarrassant pour ce parrain de la pègre et pour cela sa vie ne tient plus qu’à un fil. Lessivé par douze années en tant que fait-diversier sous haute tension, Jake Adelstein finit par jeter l’éponge et rentre aux US, avec femme et enfants. Tokyo Vice sera sa revanche : une autobiographie rédigée à la manière d’un roman noir ; un manuel de décodage de la société japonaise où la mafia qui a pignon sur rue s’est enracinée dans tous les secteurs économiques, politiques, administratifs. Une exploration à l’encontre de la fascination qu’exercent les yakuzas, avec leur supposés code d’honneur et légende chevaleresque.

UN OVNI. Un roman coup de poing tendance coup de sang. Premier ouvrage des jeunes éditions Marchialy publié en 2016, Tokyo Vice était un essai, un de ces livres dont les journalistes américains ont le secret et que l’on appelle creative nonfiction, livre-enquête, roman documentaire, témoignage du réel… Qu’importe le nom qu’on lui assigne. Tokyo Vice propose une vraie voix qui explore de l’intérieur les aspects les plus sombres des bas-fonds de Tokyo et du journalisme made in Japan. Un récit le plus souvent passionnant, étonnant, toujours instructif, même si le rythme trépidant annoncé dans le prologue peut s’avérer déceptif pour les amateurs de thrillers. Présenter Tokyo Vice comme un polar haletant sur un journaliste qui, seul contre tous, se dresse contre les yakuzas dans les bas-fonds de Tokyo est trompeur. « C’est d’abord, et, avant tout, un livre sur le journalisme et le Japon. » nous dit justement l’auteur. Et c’est son regard (faussement ?) naïf mais authentiquement documenté, sans équivalent, qui nous permet de découvrir des pans de la culture d’un pays qui nous sont pour beaucoup étrangers.

 Pour la petite histoire : lors de sa parution américaine, le livre est repéré par le traducteur Cyril Gay qui en signale l’intérêt à plusieurs éditeurs français. Sans succès. Le temps passe, l’envie demeure, et, avec elle, le projet de fonder sa propre maison. Trois amis s’y associent. Ils acquièrent les droits du livre, organisent une campagne de financement participatif pour régler les frais de fabrication. Les éditions Marchialy sont nées. Tokyo Vice, le tout premier titre du catalogue, a valeur de manifeste. Il représente « ce que nous voulons éditer à raison de quatre titres par an : de la non-fiction qui s’apparente à la littérature noire et au polar social », explique Christophe Payet, l’un des coéditeurs.
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La fiche

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Le dernier des Yakuzas. Splendeur et décadence d’un hors-la-loi au pays du Soleil-Levant. (2018, aux éditions Marchialy. (The Last of the Yakuza: Life & Death in the Japanese Underworld.) Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cyril Gay.

Une fresque épique sur la plus secrète des organisations criminelles, la mafia japonaise, des années 1960 à nos jours. C’est Le Parrain au pays du Soleil-Levant, cela commence sur fond de tatouages sophistiqués et se termine dans les milieux de la finance. Entre-temps, les yakuzas ont perdu leur sens de l’honneur.

 

À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Baltimore, une année au cœur du crime de David Simon (Points Policier, 2013) / Homicide : A year on the killing streets. Traduit de l’anglais (Etats-Unis, 1991) par Héloïse Esquié.

Journaliste au Baltimore Sun, David Simon (journaliste, écrivain, producteur et scénariste) a suivi pendant un an les inspecteurs de la brigade criminelle de la ville. De jour comme de nuit, sur les scènes de crime comme dans les salles d’interrogatoire, il a partagé leur quotidien et nous offre le portrait tout en nuances d’une cité à la dérive. De ce document exceptionnel naîtra, quelques années plus tard, la série Sur écoute (The Wire) que David Simon a écrite en collaboration avec George Pelecanos, Richard Price et Dennis Lehane.

Gomorra. Dans l’empire de la camorra. De Roberto Saviano (Mondadori, 2006) / Gomorra, Traduit de l’italien par Vincent Raynaud (2009).

De sa plongée dans la mafia napolitaine, le romancier italien a fait un livre vibrant, au succès mérité. Gomorra – titre qui renvoie à la fois à Gomorrhe et à Camorra – se présente comme un voyage initiatique « dans l’empire économique et dans le rêve de domination » de cette organisation mafieuse que tout le monde appelle « le système », car « le mot camorra n’existe pas, c’est un mot de flics ». Dans ses pages, Saviano se met volontiers en scène avec ses peurs et ses indignations, alternant sans cesse détail et vision d’ensemble, réflexion socio-économique et souvenirs personnels, actes officiels de la magistrature et récit d’histoires individuelles.