JE SUIS TOUJOURS VIVANT, de Roberto Saviano et Asaf Hanuka

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Récit d’un condamné à mort

Le pitch

Depuis la sortie de Gomorra (2006), brûlot édité en 2006, qui dénonçait l’emprise de la Camorra, la mafia napolitaine, sur la société italienne, le journaliste et écrivain Roberto Saviano vit sous protection policière. Il se raconte sous le crayon d’un auteur israélien, Asaf Hanuka. Un titre qui jaillit comme un cri. Une plongée bouleversante dans la prison intime de l’écrivain en sursis. Un témoignage rare et précieux.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car ce récit d’une vie en sursis nous donne la mesure du sacrifice d’un auteur qui a choisi de ne pas se taire. Car l’auteur y livre sa part intime de doute, de fragilité, de douleur. Parce qu’il est inimaginable que des journalistes d’investigation se fassent assassiner, et pourtant… Car le dessin d’Asaf Hanuka porte à merveille ce témoignage, dans un style au carrefour de tout, pub, comics, couleurs franches. Parce que ce cri de victoire – Je suis encore vivant – vient heureusement contredire le triste constat prémonitoire du juge Falcone, lui-même assassiné en1992, « Pour être crédible, on doit se faire tuer ».

VDM. Quelle peut-être la vie d’un homme menacé de mort par la Camorra ? « J’ai une vie de merde à cause de mon obsession de retranscrire des faits réels ». Et Saviano d’ajouter « C’est une forme de résistance. Dans cette situation, vous n’êtes pas mort, mais on ne vous laisse pas vivre non plus. Vous êtes au milieu. » Depuis plus de 5 000 jours, depuis le succès planétaire de Gomorra (2006), il (sur)vit sous haute protection, condamné à mort par la mafia. Cette bande dessinée autobiographique vient de là. De cette anomalie devenue sa vie « normale », quotidienne, de journaliste et d’écrivain traqué. Condamné à perpétuité pour avoir nommément désigné des tueurs et dénoncé l’emprise de la Camorra sur la société italienne dans des romans, des films, une série, avec un succès planétaire exceptionnel. Mais ni l’ivresse de la réussite, ni la passion des foules pour ses récits, ni la satisfaction du justicier n’ont adouci pour l’auteur la perte irrémédiable de sa liberté.

UN TOUR DE FORCE GRAPHIQUE. Depuis lors, sa vie a radicalement changé, pour le pire. Mais celui qui n’est jamais plus rentré chez lui a choisi son camp : il ne se taira pas. Et l’auteur traqué de choisir la bande dessinée pour raconter son histoire et tenter de reprendre une certaine maîtrise de son existence. « Je voulais donner une image réaliste mais aussi symbolique, expressionniste, de ma vieAvec le dessin, on accède à une autre représentation sensible. » Mais comment rendre trépidante la vie confinée dans écrivain reclus ? Il choisit de faire appel à un dessinateur israélien de sa génération, Asaf Hanuka, ayant travaillé sur le chef-d’œuvre animé d’Ari Folman Valse avec Bachir. Inspiré, inventif, surprenant, il sait varier les plans, les cadrages. Le découpage est créatif, la mise en page aérée. Tout en assumant d’utiliser des couleurs franches dans un album par ailleurs dominé par le noir et blanc. Un récit fourmillant de détails réalistes et qui pourtant laisse toute sa place à l’imaginaire. Il nous fait entrer avec talent dans prison intime de l’écrivain, minotaure éternellement perdu dans son labyrinthe. « Le mélange de la réalité, de la symbolique, de la littérature, c’est ce qui définit Roberto, note le dessinateur. J’ai été invité à découvrir une couche d’émotions que l’on ne dévoile pas forcément. Je ne m’attendais pas à cela. J’ai trouvé un trésor. Quelque chose de plus qu’une biographie. » Et c’est cette part d’intimité qui rend cette autobiographie tellement émouvante. Et sous le crayon d’Asaf Hanuka, il est pour toujours, et plus que jamais, vivant.

ENTRER EN RÉSISTANCE. « Je n’ai jamais montré mes blessures. Mais raconter toute cette douleur, c’était la seule façon de me sauver. » Et Saviano se (dé)livre sous forme de voix-off. Il revient sur son enfance, sa famille, ses origines. Une enfance heureuse, dans une famille italienne normale. Son jeune frère bienaimé, infirmier qui a dû déménager et changer de nom pour se protéger.  Sa mère chercheuse, qui a longtemps dirigé le Musée royal de minéralogie de Naples. Elle aussi doit quitter la ville. Il plonge dans des souvenirs, analyse sa propre capacité de résistance. Il décrit non sans humour la manière dont on cherche parfois à la discréditer. Il passe de la fierté au découragement. Notamment face au constat amer que les sentiments amoureux n’ont plus leur place. « Dans une vie comme la mienne, l‘amour produit de la rancœur, des manques, des frustrations. Tout ça a fait de moi une personne pire, pas meilleure. » Mais il finit toujours par lever le poing en se déclarant « ancora vivo », toujours vivant ! Un cri lancé comme un provocation. Et si l’ego de l’auteur y déborde de temps à autre… Qui l’en blâmerait. Pas moi en tous cas. J’ai été impressionnée par ce livre personnel et unique en son genre.

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Roberto Saviano, sélection parmi ses œuvres et adaptations :

  • Gomorra, dans l’emprise de la Camorra (Viaggio nell’impero economico e nel sogno di dominio della camorra). Gallimard, 2007.
  • Piranhas (La paranza dei bambini, Feltrinelli, 2016). Gallimard, 2018
  • Baiser Féroce (Bacio feroce, 217). Gallimard 2019

Gomorra (2008). Film italien de Matteo Garrone. D’après Roberto Saviano, Avec Salvatore Abruzzese, Gianfelice Imparato, Maria Nazionale. « On ne partage pas un empire d’une poignée de main, on le découpe au couteau. » Cet empire, c’est Naples et la Campanie. Gomorrhe aux mains de la Camorra. Là-bas, une seule loi : la violence. Un seul langage : les armes. Un seul rêve : le pouvoir. Une seule ivresse : le sang. Nous assistons à quelques jours de la vie des habitants de ce monde impitoyable. Sur fond de guerres de clans et de trafics en tous genres. Cette fresque brutale et violente tirée du roman-enquête de Roberto Saviano, décrit avec une incroyable précision les cercles infernaux de la Camorra napolitaine pour mieux nous y entraîner.

La série Gomorra (2014-2021, 5 saisons, 58 x 52 min). Créée par Stefano Sollima, Claudio Cupellini, Francesca Comencini.

Asaf Hanuka est notamment l’auteur de l’excellent K.O. à Tel Aviv (éd. Steinkis)