SANGOMA, de Caryl Férey et Corentin Rouge

BD
Bien
Très bien
Un Must
Les séquelles de l’apartheid

Le pitch

Vingt ans après… Dans une Afrique du Sud toujours minée par l’héritage de l’apartheid. Une enquête policière sur fond de crise politique au sujet du partage des terres agricoles. Et c’est le lieutenant Shepperd qui s’y colle. Une BD au scénario aussi efficace qu’instructif comme sait les imaginer Caryl Férey. Servi par le dessin réaliste de Corentin rouge. Un duo qui parvient à créer un univers riche et complexe, documenté. Une bien belle réussite qui en appelle d’autres !

L’info en plus : vous vous demandez peut-être ce que signifie Sangoma ? Une sorte de sorcier pouvant faire appel à des rites sanglants pour tenter de soigner des maladies incurables.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car l’histoire policière s’inscrit dans un contexte politique passionnant, complexe et largement méconnu. Entre colonisation boer, réseaux politiques mafieux, culture de gangsters dans les townships, présence des sangomas et autres croyances ancestrales… Pour l’évocation éclairante et nuancée des rapports tendus entre Afrikaners et Noirs sud-africains. Pour le style graphique, précis, réaliste, qui nous immerge dans une culture totalement exotique pour ne pas dire(très) étrange à nos yeux et esprits européens. Car Treize ans après Zulu, Caryl Férey retourne en Afrique du Sud et à la bande dessinée (après Maori) pour notre plus grand bonheur. Car l’enquête policière est bien pensée, par un flic attachant qu’on adorerait retrouver à l’occasion d’une nouvelle aventure… J’dis ça…

POUR MIEUX COMPRENDRE UN CERTAIN CONTEXTE POLITIQUE SUD-AFRICAIN. L’égalité de droits est certes une réalité constitutionnelle, mais inappliquée. Le quotidien des habitants de Cape Town est marqué par les disparités économiques, la corruption, le racisme, la haine refoulée. Deux peuples apparemment irréconciliables s’affrontent sans cette Afrique du Sud post-apartheid. Les Noirs font valoir leurs droits originels sur les terres, tandis que les Blancs mettent l’accent sur une méritocratie liée à leurs investissements et travaux passés. Dans ce contexte, un projet de réforme agraire visant à redistribuer les terres usurpées du temps de l’apartheid provoque des débats houleux au Parlement, tend les partis radicaux encore plus aux extrêmes. Avec en bruit de fond la crainte des Afrikaners de se faire spoiler et de voir l’Afrique du Sud, déjà reléguée économiquement derrière le Nigéria, suivre la descente aux enfers du Zimbabwe. Ainsi se présente la situation politique hautement inflammable du pays au moment où se déroule notre enquête. « Personne ne veut faire un pas vers l’autre, comme si les positions s’étaient figées du temps de l’apartheid. »

POUR SHANE SHEPPERD. C’est précisément sur une exploitation tenue par l’Afrikaner Kobis Pienaar qu’est retrouvé le corps d’un jeune ouvrier agricole noir. Exécrable nouvelle au vu du contexte. Parallèlement, dans un même périmètre, le bébé de la jeune Nkosazana est enlevé. Le lieutenant Shane Shepperd est dépêché sur place pour mener l’enquête.  Un irrésistible beau gosse, nonchalant, qui ne manque ni de courage ni d’humour. Un marrant à l’esprit avisé. Un séducteur autant qu’une tête brûlée.  Grâce à ce personnage très réussi, Sangoma ne se cantonne pas de dénoncer un pays malade de son histoire ségrégationniste. Il sait faire preuve d’humour, d’action ou de violence, sans faute de goût ni de rythme. Vraiment bien ficelé. On en redemande.

POUR LE DESSIN RÉALISTE DE CORENTIN ROUGE. Le récit dense et violent de Sangoma bénéficie du travail de grande précision et du sens de l’image remarquable de Corentin Rouge. Dans un graphisme classique remarquablement dense et sensible, qui apporte leur brio tant aux scènes d’action qu’aux échanges plus intimistes entre les personnages.

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Caryl Férey est un auteur très talentueux, un grand voyageur qui apprécie nous balade autour du monde, dans les contrées les plus âpres, à notre très grand bonheur, et effroi.  Biblio sélective :

  • Haka (Éditions Baleine 1998, PUIS série noire, Gallimard 2003). Jack Fitzgerald est le héros maori de ce roman dur et lyrique qui se déroule en Nouvelle Zélande.
  • Utu (2004, série noire, Gallimard). Prix Michel Lebrun 2005. Prix SNCF. Prix Sang d’Encre. Sorte de suite de Haka. Toujours en Nouvelle Zélande. Toujours très bien.
  • Zulu (PUIS série noire, Gallimard 2003). Un excellent roman qui croule sous les prix. Dont Grand prix de la littérature policière 2008. Prix Quai du Polar. Prix Mystère de la Critique… Adapé au cinéma par Jérôme Salle en 2013. Avec Orlando Bloom et Forest Withaker. Enfant, Ali Neuman a fui le bantoustan du KwaZulu pour échapper aux milices de l’Inkatha, en guerre contre l’ANC, alors clandestin. Même sa mère, seule rescapée de la famille, ignore ce qu’elles lui ont fait. Aujourd’hui chef de la police criminelle de Cape Town, Neuman doit composer avec des fl »aux majeurs : la violence et le sida. Les choses s’enveniment lorsqu’on retrouve la fille d’un ancien champion du monde de rugby assassinée. Une drogue à la composition inconnue semble être la cause du drame.
  • Mapuche (2012, série noire, Gallimard). Élu meilleur polar de l’année par le magazine Lire. Malgré la politique des Droits de l’Homme appliquée depuis dix ans, les spectres des bourreaux rôdent toujours en Argentine. Eux et l’ombre des carabiniers qui ont expulsé la communauté de Jana de leurs terres ancestrales.
  • Condor (2016, série noire, Gallimard). Roman chilien « cousin » de Mapuche.
  • Paz (2019, éditions les arènes puis série noire, Gallimard). Un vieux requin de la politique. Un ancien officier des forces spéciales désormais chef de la police de Bogotá. Un combattant des FARC qui a déposé les armes. Un père, deux fils, une tragédie familiale sur fond de guérilla colombienne.
  • Lëd (2020, éditions les arènes puis série noire, Gallimard). Glace en russe. Norilsk est la ville de Sibérie la plus au nord et la plus polluée au monde où les températures peuvent descendre sous les 60°C. Au lendemain d’un ouragan arctique, le cadavre d’un éleveur de rennes émerge des décombres d’un toit d’immeuble. Boris, flic flegmatique banni d’Irkoutsk, est chargé de l’affaire. Dans cette prison à ciel ouvert, il découvre une jeunesse qui s’épuise à la mine, s’invente des échappatoires, s’évade et aime au mépris du danger. Parce qu’à Norilsk, où la corruption est partout, chacun se surveille. Et la menace rôde tandis que Boris s’entête.
  • Bande dessinée : Maori (scénario Cary Férey, dessin Giuseppe Camuncoli, Ankama éditions, 2013) reprend l’univers de la saga Maorie Haka et Utu, publiée par Caryl Férey.  Jack Kenu est un mélange des deux héros des romans, dans une Nouvelle-Zélande en proie au chaos du capitalisme financier. Un polar en bande dessinée, opposant deux façons de voir le monde, à travers des personnages engagés.

 

Corentin ROUGE est l’auteur de la série Rio coscénarisée avec Louise Garcia et publié sur quatre tomes entre 2016 et 2019 (Glénat). Une ville où la vie est un combat ; série très réussie qui nous montrant tous les aspects de la société contemporaine brésilienne.

À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

L’âme des guerriers (Once were Warriors, 1994). Film néo-zélandais de Lee Tamahori. D’après le roman d’Alan Duff. Beth et Jake Heke vivent avec leurs cinq enfants dans la banlieue maorie pauvre d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Jake vient de perdre son travail. Alcoolique et brutal, il frappe souvent Beth, femme énergique et fière mais toujours amoureuse.

Un soir, particulièrement ivre, il bat son épouse si violemment que Beth, le visage terriblement contusionné, ne peut accompagner son fils Boogie, un jeune délinquant, au tribunal. Le jeune garçon se retrouve placé dans un foyer. L’unité familiale vole en éclats. Un film comme une énorme claque. Pas revu depuis 1994. J’espère qu’il n’a pas pris une ride.