LE COUPERET, de Donald Westlake

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Cadres immoraux

Le pitch

Cadre sup dans une usine de papier depuis 25 ans, Burke Devore se voit soudainement licencié, victime de la crise et de la mondialisation. Tout son univers bien rangé s’écroule. Il est prêt à tout (mais vraiment tout) pour retrouver son existence d’antan. Et la morale dans tout ça ? Totalement irrévérencieuse, cette violente critique sociale prend pour cible le libéralisme et ses dommages collatéraux. Imaginée avec le talent immense que l’on attendait de ce grand maître américain du polar. Un roman qui frise le génie tant il arrive à nous faire rire et nous oppresser dans le même paragraphe. Inclassable et indispensable.

Pourquoi je vous le conseille ?

« Je crois que la plupart des gens qui écrivent des thrillers ont une vision romantique des choses. Pour ma part, je ne suis pas romantique, je suis tout simplement réaliste. » Donald Westlake

Parce qu’à 70 ans et autant de romans en tous genres à son actif, auréolé d’une gloire littéraire acquise sous différents pseudos, l’incomparable Donald Westlake nous bluffait encore avec cette critique sociale démoniaque. Car c’est un bijou d’humour glaçant, inconvenant et parfaitement effrayant. Car Westlake réussit un tour de force : nous manipuler au point de nous inciter à défendre l’indéfendable. Car Le Couperet est le premier roman noir de l’horreur économique, celle qui réveille les pires instincts de l’humain.

UNE CRITIQUE SOCIALE BIEN SENTIE. Burke Devore, petite cinquantaine cossue, profite de la vie rêvée de la classe moyenne. Un joli pavillon, une femme au foyer, deux enfants et deux automobiles. Tout est beau dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce qu’advienne l’impensable, ce qui n’arrive qu’aux autres. L’incompréhensible et impossible licenciement. Devore, le narrateur, partage son constat : « Pourquoi me suis-je fais virer, alors que la boîte est bénéficiaire et plus florissante que jamais ? La réponse est que notre absence rend l’entreprise encore plus puissante, les dividendes encore plus élevés, le retour sur investissement encore plus intéressant. » À la guerre économique comme à la guerre, notre super pro, docile employé, décide de tuer ses concurrents. Histoire de mettre toutes les chances de son côté. Il va employer tout son professionnalisme, son sens de l’organisation, au service de son macabre projet. Sans haine, mais obsessivement guidé par la nécessite de remettre sa famille à l’abri. Il le mérite. Car halte à l’hypocrisie ! Les compressions, dégraissages, réductions de personnel – tous ces jolis mots – cachent mal des vies brisées par une guerre économique sans merci. Tous les moyens sont donc permis pour reprendre le statut social dont il jouissait jusqu’alors.

UN SERIAL KILLER D’UN NOUVEAU GENRE. Pour retrouver ce « bonheur » qu’il estime avoir mérité par son labeur, il est prêt à tout. Même à franchir les barrières de la morale. Mais de quelle morale parle-t-on ? « Je ne suis pas un assassin, je ne l’ai jamais été, je ne veux pas être une chose pareille, vide, sans âme et sans pitié. Ce n’est pas moi, ça. Ce que je fais en ce moment, j’y ai été contraint, par la logique des événements : la logique des actionnaires, la logique des cadres, la logique du marché, et la logique des effectifs, et la logique du millénaire, et pour finir ma propre logique. » Le docile salarié devenu serial killer pour la bonne cause ne nous épargne rien de sa tuerie. Et c’est là tout l’art d’un vieux roublard comme Westlake. Comment en vouloir au tueur Burke Devore ? C’est plutôt un mec sympa, fidèle, sincère. Et il ne tue pas gratuitement. Il a ses raisons. Et nous voilà piégés, témoins bienveillants prêts à défendre cet assassin. Quel pamphlétiste de génie. L’air de ne pas y toucher, ce grand auteur New-Yorkais nous démontre l’absurdité et la violence d’un système – le capitalisme – et nous interpelle intelligemment, avec un humour froid et insolent :  ne sommes-nous pas tous complices de cette machine de guerre économique ? Où donc est passée la conscience collective, que font les syndicats, les partis ? A qui faire confiance désormais pour nous défendre ?

UNE ÉCRITURE FLUIDE ET SPONTANÉE. Burke livre ses pensées à la première personne, simplement, sans ornementations superflues. Sur un rythme sec, sans effusions. En s’obstinant à recourir aux termes les plus ordinaires, l’auteur construit le plus singulier des suspenses. Une narration déconcertante, troublante de vérité, entre coupure de presse et rapport de police. Rédigé à la première personne, le livre propose une sordide promenade dans une Amérique jadis prospère et fait le constat amer d’un individu isolé qui sombre vers la folie en appliquant au crime ce sérieux et cette pugnacité qui, dans un monde meilleur, faisaient de lui un employé modèle. Effarant.

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La série de romans signés Westlake / Richard Stark (1933-2008) est top. Et il y en a beaucoup !  « J’ai parfois l’impression qu’Amazon en sait davantage que moi sur mon propre compte », glissait-il sur son site Internet en tentant de détailler sa bibliographie. Voici donc une biblio très sélective.

Dans la série John Dortmunder, Sous la signature Donald Westlake :

  • Dégâts des eaux (Drowned Hopes, 1990). Traduit de l’anglais par Jean Esch (2003). Rivages / Noir.
  • Histoire d’os (Don’t ask, 1993). Traduit de l’anglais par Jean Esch (1996). Rivages / Noir.
  • Au pire, qu’est-ce qu’on risque ? (What’s The Worst That Could Happen? 1996) traduit de l’anglais par Marie-Caroline Aubert (2001). Rivages / Noir.
  • Et vous trouvez ça drôle ? (What’s so Funny?, 2012), traduit de l’anglais par Pierre Bondil.

Dans la série Parker, signé Richard Stark :

  • Comme une fleur (The Hunter, 1963). Gallimard.
  • Le Septième (The seventh, 1966). Rivages / Noir.
  • La Demoiselle (The Damsel, 1967). Rivages / Noir.
  • Planque à Luna-Park (Slayground, 1972). Gallimard. Adapté au cinéma en 1983 sous le titre
  • Signé Parker (Butcher’s Moon, 1975). Gallimard.
  • Comeback (Comeback, 1997).
  • Nobody Runs Forever (À bout de course!, 2004).

Autres romans

  • Le Pigeon d’argile (The Fugitive Pigeon, 1965). Gallimard, 1997.
  • Adios Schéhérezade (Adios Scheherezade, 1970). Denoël, 1972. Traduction revue et corrigée, Laurette Brunius et Marcel Duhamel. Rivages/Noir 2007.
  • Drôles de frères (Brothers Keepers, 1975). Traduction Isabelle Reinharez. Rivages / Noirs.
  • Un jumeau singulier (Two Much, 1975). Traduction Claude Benoît. Rivages / Noirs.
  • Aztèques dansants (Dancing Aztecs, 1976). Traduction Jean Esch. Rivages / Noirs.
  • Ordo (1986). Traduction de Jean-Patrick Manchette. Rivages / Noirs.
  • Kahawa (1981), Traduction de Jean-Patrick Manchette. Rivages / Noirs.
  • Le Contrat (The Hook, 2003). Traduction de Daniel Lemoine Rivages / Noirs.