SUEURS FROIDES, d'Alfred Hitchcock

Film
Bien
Très bien
Un Must
Inoubliable

Le pitch

Acrophobie… un nom scientifique pour le vertige maladif qu’éprouve l’inspecteur John « Scottie » Ferguson. Cette terreur du vide l’a poussé à abandonner la police de San Francisco. Un ancien ami l’engage pour surveiller son épouse, Madeleine, dont le comportement étrange laisse redouter son suicide. Scottie faillit à la tâche lorsque cette dernière se jette en bas d’un clocher. Puis, voilà qu’il tombe plus tard sur le sosie de la défunte, la brune Judy. Obsédé, Scottie tente de faire revivre la morte à travers la vivante. Or, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. De révélations en circonvolutions narratives, la vérité émerge. Un chef-d’œuvre aux mille visages, incompris avant d’être encensé.  Un polar inoubliable, un film fou et morbide sur l’obsession et la culpabilité. Étudié sous toutes les coutures depuis des décennies, il reste toujours, lui aussi, cet objet insaisissable refusant de livrer tous ses mystères. Et qu’on ne se lasse jamais de redécouvrir.

Pourquoi je vous le conseille ?

Pour comprendre en quoi cette œuvre aujourd’hui incontestée a pu laisser perplexes la critique et le public de 1958, un peu égarés face aux innombrables degrés de lecture et la noirceur extrême de cette romance maudite maquillée en thriller tordu. Car c’est un diamant noir, d’une beauté formelle saisissante, amorcé par l’incroyable générique symbolique du graphiste de génie Saul Bass. Pour la magnifique musique romantique de Bernard Hermann. Car certaines scènes audacieuses, filmées au millimètre par Hitchcock, sont entrées dans la légende. Une référence incontestée.

UNE ŒUVRE INCOMPRISE. En 1958, le maître du suspense adapte un roman de Boileau-Narcejac, D’entre les morts, qui va susciter plutôt l’indifférence, voire l’ennui. En 2012, un séisme majeur secoue la planète cinéma. Pour la première fois depuis des décennies, le Top 50 du British Film Institute, qui fait autorité puisqu’il sollicite l’opinion du plus grand nombre de professionnels (846 critiques dans le monde), ne confirme pas la domination de l’indélogeable Citizen Kane, d’Orson Welles, mais plutôt celle de Sueurs froides, d’Alfred Hitchcock. Aujourd’hui, plus personne ne lui conteste son statut de vertigineux chef-d’œuvre, voire de plus grand film de toute l’histoire du cinéma. Belle revanche pour un film esquinté par la critique à sa sortie, et mal aimé par son réalisateur. Notamment du fait d’une préparation très longue et compliquée qui lui a donné la migraine, et de son actrice principale. Comme l’explique Hitch à Truffaut dans son interview fleuve. « Vous savez que j’avais conçu Vertigo pour Vera Miles, nous avions fait des essais concluants et tous les costumes étaient faits pour elle. » Ainsi Kim Novak, charnelle, animale et parfaitement juste à l’écran aura déçu le réalisateur. Alors même que ce film fou et obsédant fit de cette star féminine l’incarnation absolue de l’inatteignable blonde hitchcockienne, source de tous les fantasmes. Vous avez dit ironique ?

 UNE BEAUTÉ PLASTIQUE EXCEPTIONNELLE. Sueurs froides n’a pas pris une ride et même, privilège rarissime au cinéma, semble toujours plus moderne à mesure que le temps passe. Célébré par Truffaut, De Palma, Argento, Scorsese, Marker et tant d’autres cinéastes. C’est que Vertigo, notamment, multiplie les scènes virtuoses, charnelles ou audacieuses, devenues des références absolues. Les prises de vue réalisées depuis l’escalier du clocher, du point de vue de Scottie alors qu’il poursuit Madeleine, sont à ce titre révélatrices. Réussissant à donner au spectateur cette sensation de vertige et de brusque éloignement que Hitchcock voulait reproduire au cinéma depuis longtemps. Où l’œil est attiré vers le centre, qui reste net, alors que les côtés sont en plein mouvement de fuite. Autre particularité : les choix plastiques, avec une dominance chromatique vert/rouge, illuminent somptueusement le film. Le vert (pour le surnaturel, le retour d’entre les morts) et le rouge (pour la mort) en particulier. Par les costumes, par les lumières des néons, l’utilisation de filtres à brouillard (pour le mystère). Et Truffaut d’exprimer à Hitch « Il y a, dans Vertigo, une certaine lenteur, un rythme contemplatif qu’on ne trouve pas dans vos autres films, souvent construits sur la rapidité, la fulgurance. » Par-delà sa perfection photographique, Hitchcock a su magistralement créer une atmosphère poétique, troublante, et le spectateur en arrive doucement à croire aux hypothèses fantastiques que lui soumet Hitchcock.

UNE ATMOSPHÈRE TROUBLE ET MORBIDE. Vertigo est une œuvre construite sur le vide et les apparences. Tout est faux-semblants, doute et illusion amoureuse.  Madeleine, la femme que Scottie croit aimer, n’est que chimère et imitation, représentation truquée d’une femme existante mais qu’il n’aura jamais rencontrée. Dès les premiers plans de la rencontre au restaurant, Scottie voit une femme-image dans le miroir, qui ne cessera de jouer un rôle conforme à ses aspirations conscientes. Et Hitchcock d’approfondir sa vision d’une œuvre selon lui « nécrophile ». « Ce qui m’intéressait le plus était les efforts que faisait James Stewart pour recréer une femme, à partir de l’image d’une morte ». « Il y a un autre aspect que j’appellerai « sexe psychologique » et c’est, ici, la volonté qui anime cet homme, de recréer une image sexuelle impossible ; pour dire les choses simplement cet homme veut coucher avec une morte, c’est de la pure nécrophilie. » On comprend mieux l’atmosphère pesante et morbide qui se dégage du film. Où sous couvert de présenter une intrigue diabolique à suspense, Vertigo s’avère être le portrait d’un homme obsédé et émotif (incarné par le jeu habité et intériorisé de James Stewart). Fétichisant une femme fantasmée et idéalisée (Kim Novak, alternant entre l’élégance mystérieuse de Madeleine et la simplicité populaire de Judy). Qu’il cherche « D’entre les morts ». Dans une spirale amoureuse nourrie par un désespoir profondément mélancolique qui lie fatalement désir et vertige. Hitchcock a réalisé là une œuvre éternelle que les gens de la Nouvelle Vague (Chabrol, Truffaut, Rohmer) furent les premiers à comprendre et à défricher.

 

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La fiche

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Dans la filmographie d’Hitchcock, tout est bon, voire très bon, voire culte. À choisir parmi les thématiques qui sont dans la même veine que La Mort aux trousses, on citera des films d’espionnage, et notamment ceux tournés par Hitchcock dès 1935, lors de sa « période anglaise ». Sans oublier de temps à autre la pointe d’humour British qu’on aime tant.

  • Les 39 marches (The 39 steps, 1935). Avec Robert Donat, Madeleine Carroll, Lucie Mannheim. Un homme recherché pour le meurtre d’une Mata-Hari est poursuivi par un groupe d’espions nazis, mais aussi par la police britannique.
  • Jeune et innocent (Young and Innocent, 1937). Avec Derrick de Marney, Nova Pilbeam, Percy Marmont. Charmant film où un jeune auteur injustement accusé doir prouver son innocence, avec la complicité de la fille du commissaire chargé de l’enquête.
  • La Cinquième colonne (Saboteur, 1949). Avec Robert Cummings, Priscilla Lane, Otto Kruger. En 1940, un ouvrier américain est accusé d’avoir saboté une usine d’armements. Aidé d’une jeune femme, il parcourt les Etats-Unis pour démasquer le véritable coupable, un agent nazi. Amour, faux coupable, traque à travers le pays : les classiques ingrédients hitchcockiens sont bien présents.
  • Les Enchaînés (Notorious, 1948). Avec Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains. Double jeux, amour et espionnage. Parmi les classiques du maître.

Blow up sur Arte. Alfred Hitchcock en 8 minutes : une émission qui permet d’avoir une vision synthétique de l’œuvre d’Alfred en 8 minutes chrono.

Parmi la foultitude d’oeuvres dédiées à Hitchcock, je recommanderais entre autres :

  • Hitchcock/Truffaut, ou Le Cinéma selon Alfred Hitchcock, ou encore surnommé le « Hitchbook ». Un livre d’entretiens entre deux monuments du cinéma, paru en 1966 aux éditions Robert Laffont.
  • Hitchcock. Biographie, filmographie illustrée, analyse critique. Livre de Patrick Brion. Editions de la Martinière.
  • Hitchcock, la totale (2021). Les 57 films et 20 épisodes TV expliqués et décryptés pour mieux comprendre comment le Maître a définitivement marqué l’histoire du cinéma. Monographie de Bernard Benoliel, Gilles Esposito, Murielle Joudet, Jean-François Rauger.