Mr SMITH AU SÉNAT, de Frank Capra

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Fable politique

Le pitch

Le sénateur d’un état de l’Ouest américain vient de mourir. Sam Taylor, homme d’affaires véreux et magnat de la presse locale, ordonne au gouverneur de nommer à sa place un homme de paille qui ne remettra pas en cause leurs louches opérations. Le choix du gouverneur se porte sur Jefferson Smith, apparent candidat idéal. Car Mister Smith, c’est le naïf. Le boy scout aux valeurs sincères (donc inoffensives). Le brave type qui vit encore chez maman et qui travaille auprès des enfants. Le faire-valoir inexpérimenté que propulsent dans l’arène parlementaires des élus aguerris et calculateurs. Ils auraient mieux fait de se méfier…

Un des nombreux chefs-d’œuvre offert à la postérité par le grand Capra. Une fable politique touchante, drôle et sincère écrite sous forme de thriller. Un réquisitoire féroce contre la manipulation de l’opinion par une presse à la botte de ses élus locaux.  Indispensable dès 10 ans.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car Frank Capra, champion des comédies sociales des années 30 et 40, nous offre avec Monsieur Smith au Sénat une fable politique dont il a le secret, parmi les plus ouvertement idéologiques de sa filmographie. À l’ombre tutélaire des présidents Washington, Lincoln et Jefferson. Pour la nostalgie de la pureté et de l’innocence perdues dont le réalisateur se fait le farouche défenseur avec une émouvante sincérité. Pour les acteurs, époustouflants. Car ce petit miracle d’humanisme, irrésistible et touchant, nous fait autant rire que pleurer. Parce que sa construction sous forme de thriller accentue la tension dramatique à laquelle on ne peut que succomber. Car c’est un fascinant théâtre humain et politique. Parce que Capra signe ici un vibrant hommage à la parole politique, ferment de la vie démocratique. C’est un film magnifique. Une fois de plus, merci Monsieur Capra.

CAPRA, KING OF (SOCIAL) COMEDY. « Je chanterai la complainte du travailleur, du pauvre gars qui se fait rouler par la vie (…) je prendrai le parti des désespérés, de ceux qui sont maltraités en raison de la couleur de leur peau ou de leurs origines », déclarait Frank Capra. Immigré Italien, né Francesco Rosario Capra, arrivé en Amérique à l’âge de 6 ans, Capra n’aura de cesse de décrire, de film en film, le fossé grandissant entre les élites et le peuple, l’abandon des classes moyennes par les politiques, la peur insufflée au prolétariat par une poignée de milliardaires aux commandes du pays. Il faut dire que l’Amérique des années 30 et 40 n’a de cesse d’étouffer la colère des classes moyennes. De briser les grévistes et menacer les syndicats. Une Amérique contrôlée par une infime minorité ayant construit une machine politique étouffant dans l’œuf tout élan contestataire. De cette situation économique et politique inégalitaire d’un pays traumatisé par la crise de 1929 puis deuxième guerre mondiale, Capra prendra le parti de la comédie pour en dénoncer les dérives. Certains lui reprochent un optimisme béat. D’autres (auprès desquels je me tiens), apprécient une vision très critique et courageuse de la société américaine sous la forme de comédies nostalgiques où s’exprime le regret d’une innocence perdue, mais où persiste encore l’espoir que la justice et l’honnêteté finiront par l’emporter.

UNE FABLE POLITIQUE. Nous sommes en 1939 et le parallèle avec l’époque actuelle n’est absurde à faire. L’Amérique connaît alors ces hordes de pauvres et de chômeurs jetés dehors par la crise économique monstre de 1929. L’Amérique règle ses comptes avec ces politiques qui ont juré d’être des remparts face à la finance. L’Amérique sent monter les poussées virulentes du populisme. Dans le collimateur de Capra, on retrouve le cynisme des politiques. L’affairisme, la collusion entre élus, organes de presse et industriels dans une parodie de démocratie où le système reste verrouillé, jalousement couvé par une élite corrompue et prête à tout pour conserver ses privilèges. Certes, on peut discerner une forme de populisme bon teint dans cette fable où les gentils naïfs de l’Amérique profonde, porteurs des vraies valeurs, se heurtent aux méchants et cyniques intellos de la capitale, que leur culture et leur intelligence ont perverti plutôt qu’élevés. Une forme de schématisme politique et social. Mais comment résister à ce tendre optimisme, à cette nostalgie d’une innocence perdue dont la sincérité ne peut qu’émouvoir ? Dans Mr Smith au Sénat, Capra croit encore que le peuple peut changer le cours des choses, remuer les consciences pour se réapproprier le système. Une conviction portée par un groupe d’enfants, soutien sans faille à Jeff Smith, inlassable défenseur des valeurs fondatrices de l’Amérique. Figure de l’homme politique fidèle, sincèrement habité par les principes d’une démocratie américaine dramatiquement dévoyée. À travers l’exemple de Jefferson Smith, Capra entend éduquer et éclairer le spectateur. Rendre l’homme meilleur mieux qu’un cours d’instruction civique. Et on sort du film avec l’intime conviction que c’est possible, oui, on peut redresser la tête et combattre l’injustice. « Vous étiez le navigateur qui connaissait le mieux l’art d’entraîner ses personnages au plus profond des situations humaines désespérées, avant de redresser la barre et de faire s’accomplir le miracle qui nous permettait de quitter la salle en reprenant confiance dans la vie (…) Face à l’angoisse humaine, au doute, à l’inquiétude, à la lutte pour la vie quotidienne, Capra avait été une sorte de guérisseur, c’est-à-dire un adversaire de la médecine officielle, et ce bon docteur était aussi un grand metteur en scène » disait de lui François Truffaut. Cet optimisme assumé rebooster le moral comme peu d’autre films arrivent à le faire.

DES ACTEURS IMPECCABLES.  Capra offre des rôles en or, magnifiquement écrits, parfois truculents, le plus souvent touchants, à ses acteurs fétiches. À commencer par James Stewart, remarquable dans le rôle du jeune et innocent Mister Smith. Le regard mouillé, émerveillé par sa nouvelle fonction. Dévoué corps et âme aux valeurs de la démocratie américaine. Il personnifie les candides avec une finesse inouïe. Jouant de son long corps dégingandé, de ses grandes mains qui battent l’air avec maladresse, triturant le coin de sa veste ou le bord de son chapeau. Trébuchant sur les mots comme sur les tapis. James Stewart, le seul acteur de sa génération à infuser de la fragilité, pour ne pas dire de la faiblesse, dans la figure positive du héros américain. Jean Arthur est également admirable en secrétaire émancipée, smart et piquante, revenue de tout. Qui connaît mieux la politique que les hommes pour lesquels elle travaille. Féminisme avant l’heure du grand Capra. Tous les autres personnages sont au diapason, dôles, ignobles ou touchants. Claude Rains en sénateur corrompu, rattrapé par les regrets de ne pas être resté fidèle l’honnête homme qu’il fût jadis.  Edward Arnold en Sam Taylor, riche capitaliste sans scrupules achetant (littéralement) représentants politiques et journalistes à tours de bras. Personnage ô combien subversif en 1939 qui contribua à la réputation de ce film jugé anti-américain (voire pro-communiste) par le monde politique et la presse. Le film devant par ailleurs beaucoup au scénario de Sidney Buchman, alors membre du Parti Communiste américain (il fut d’ailleurs blacklisté à l’époque du maccarthysme).

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La fiche

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