MOI, MENTEUR, d'Antonio Altarriba et Keko

BD
Bien
Très bien
Un Must
Leçon de communication politique

Le pitch

Portrait sans concession (euphémisme) du monde politique en général (et espagnol en particulier) dessiné à travers le personnage du brillant conseiller en communication du PDP, le parti gouvernemental. Une belle petite ordure qui sait manier le verbe comme personne pour couvrir toutes les malversations nécessaires à l’exercice du pouvoir. Ce bel équilibre vacille le jour où trois conseillers sur le point de cracher le morceau, sont assassinés…  Un récit dense, conçu avec cynisme mais non sans humour. Une très belle réussite.

Le dernier volet de la Trilogie du Moi consacrée aux classes dirigeantes et qui peut se lire indépendamment des précédents opus : Moi, assassin (2014) et Moi, fou (2018).

Pourquoi je vous le conseille ?

Pour le regard ultra critique que l’auteur pose sur les (en)jeux du pouvoir politique, nourri aux magouilles et au mensonge généralisé, au mépris des populations. Pour remettre l’importance du langage et le poids des mots au cœur du débat. Pour le sens de la formule que l’auteur manie avec bonheur : « Nous préférons être consolés qu’éclairés. Heureux qu’informés. » Car Altarriba, écumant de colère, dénonce toute cette mascarade politique avec un humour qui fait très bien passer la pilule de ce roman graphique par ailleurs très dense.

UNE BELLE PETITE ORDURE. Adrián Cuadrado est le conseiller en communication respecté du parti conservateur au pouvoir, le PDP. Sa mission : raconter des histoires au peuple. Pour cela, il a élevé le mensonge au rang d’art et de philosophie de vie. Ainsi, il assume pleinement une double vie entre Vitoria, ville où vit sa famille, et Madrid, où il retrouve sa maîtresse, ambitieuse pour quinze.  Plutôt smart, sans plus de morale que les élus du PDP (inexistante donc), il est satisfait de sa personne. Et s’il ment, il n’est pas le seul. « Tout le monde ment. Pour sauver sa peau, pour faire bonne figure, pour séduire. Par haine, par amour, par ambition, par dépit. Oui, tous mentent. Ce comportement n’est pas occasionnel. Il est consubstantiel à l’être humain. » A partir de ce constat, tout est permis.

AU COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE. « Mentir te transforme en Dieu. Dire la vérité, en simple reporter. Par ses paroles, le menteur créé un monde. Tu dis une chose et elle se produit. Change le nom de la chose et la chose change. Cesse de la nommer et elle disparaît. » Altarriba décortique les mécanismes de la communication politique, énorme mensonge organisé pour des médias qui pour la plupart ne prennent plus la peine de rechercher la vérité. Le pouvoir des mots est immense puisqu’il permet de créer des vérités alternatives. Des « éléments de langage » selon le jargon utilisé en communication politique, qui cache une forêt de dissimulations. « Tu dis une chose et elle se produit. Change le nom de la chose et la chose change. Cesse de la nommer et elle disparaît. »

LA CORRUPTION COMME ART DE VIVRE. Le portait que dresse Moi, menteur du monde politique et de ses coulisses fait froid dans le dos. Nous assistons aux discussions entre conseillers du parti où, comme une évidence, il s’agit de verser des pots de vin, couvrir des malversations ou distribuer des privilèges pour acheter le silence de l’un ou de l’autre. Non sans humour, Altarriba règle ses comptes avec les hommes et femmes politiques sans morale, accros au pouvoir, dont le comportement obscène fragilise les démocraties. Un pouvoir politique pourri jusqu’au trognon. Un pouvoir qui rend fou et donne aux grands de ce monde un inqualifiable sentiment d’impunité.

LE NOIR ET BLANC GOTHIQUE ET PROFOND DE KEKO. À la manière d’un Sin City de Franck Miller, Keko manie avec brio un noir et blanc magnifique que viennent traverser quelques rares touches de couleurs. Pour Moi, Assassin Keko avait choisi le rouge pour le sang. Pour Moi, fou le jaune, or, pour l’enrichissement. Ici le vert, pour la corruption ? Un dessin à forts contrastes qui donne l’impression de baigner dans une ambiance nocturne et gothique en permanence.

Partager :
FacebookTwitterEmail

La fiche

Auteur(s) :

Titre français :

Titre original :

Date de publication originale :

Date de publication en France :

Éditeur :

Traduction :

Si vous avez aimé, découvrez du même auteur

L’Art de voler (2009) et L’Aile brisée (2016) d’Antonio Altarriba. Deux magnifiques albums où l’auteur raconte sa vie, lui, l’homme d’origine modeste né d’un père républicain et d’une mère dévote. Réunis dans L’Épopée espagnole.  Denoël Graphic.

À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Une saga en 7 albums (1994-2001) du génie des comics, Frank Miller.  Un univers urbain nocturne en proie à la violence des passions et à la folie des hommes. Par la magie de son dessin en noir et blanc, Frank Miller emprisonne son lecteur dans un monde oppressant.

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto, 1970). Film d’Elio Petri. Avec Gian Maria Volontè, Florinda Bolkan, Massimo Foschi. En Italie dans les années 70, le chef de la brigade criminelle commet un crime, s’estimant au-dessus des lois.

Le Mouton enragé (1974). Film de Michel Deville. Avec Jean-Louis Trintignant, Jean-Pierre Cassel, Romy Schneider, Jane Birkin. L’histoire d’un timide qui prend confiance et devient un arriviste absolu. Un Bel Ami des années 70.