LA NUIT DU 12, de Dominik Moll

Film
Bien
Très bien
Un Must
L’enfer c'est les hommes

Le pitch

Un fait, en préambule. 20 % des enquêtes criminelles n’aboutissent jamais.

« À la PJ on raconte que chaque enquêteur a une histoire qui le hante, un crime qui fait plus mal que les autres et qui l’empêche de dormir ».* Pour Yohan, jeune policier de Grenoble, c’est le meurtre sordide de Clara, 21 ans. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12. Un film bouleversant, d’une sobriété exemplaire. Un polar féministe, sans coupable ni noirceur excessive, absolument saisissant d’humanité et de compassion. Le film français le plus fort de 2022 par son universalité, sa puissance formelle, la qualité de son écriture, l’intelligence du casting. Une réussite majeure, à voir absolument.

*4e de couverture du livre de Pauline Guéna 18.3, une année à la PJ.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce qu’à partir d’un crime non élucidé, un fait divers atrocement ordinaire, Dominik Moll signe l’un des meilleurs films français de ces dernières années sur un sujet universel : le rapport de la société aux femmes. Le patriarcat, la brutalité des hommes, la misogynie ordinaire autant que criminelle. Pour les interprètes, tous remarquables, justes, touchants. Car ce film précis et sobre s’affranchit des codes virils du polar au profit d’une dénonciation nécessaire des violences masculines. Parce que cette fiction inspirée par un fait divers sordide reste lumineuse dans son constat que les choses avancent et qu’il ne faut surtout pas renoncer, quel qu’en soit le prix.

EN BOUCLE. Yohan pédale sur la piste d’un vélodrome, la tête dans le guidon. En boucle, il rumine une enquête qui tourne en rond et lui échappe. Le rendant fou et dépressif. La nuit du 12, une jeune fille, Clara, est aspergée d’essence et brûlée vive par un homme encagoulé alors qu’elle rentrait chez elle, à Saint-Jean-de-Maurienne. Dominik Moll et son coscénariste Gilles Marchand ont choisi une histoire parmi d’autres dans le livre de Pauline Guéna 18.3. Une année à la PJ (Denoël), récit de douze mois en immersion dans les services de la police versaillaise. Un réalisme et une minutie que l’on retrouve dans le rythme et la narration de ce film qui colle au plus près la vie quotidienne du groupe en charge de l’enquête. Vie pro/vie perso, même combat, mêmes frustrations, même découragement devant l’inertie de l’enquête, malgré les heures sup, l’engagement jusqu’à l’obsession. La distribution est au diapason, intense et remarquable. Bastien Bouillon est parfait en chef de groupe juvénile et rigoureux, mélancolique et taiseux. Bouli Lanners, tout aussi excellent en Marceau, dans un jeu de contraste classique du duo policier, est au contraire expansif en flic généreux et émotif, et de moins en moins capable de garder son sang-froid face à la noirceur des hommes. Et tous les autres, flics ou suspects, le temps d’une scène ou plus, sont tous terriblement justes et vrais.

50 NUANCES DE MISOGYNIE. Jeune fille charmante et « pas compliquée », Clara a plutôt un cœur d’artichaut. En remontant dans la vie de la victime, en découvrant ses petits amis, Yohan s’aperçoit que tous ont un alibi et qu’aucun n’est bouleversé par sa mort. Pas un seul ne lui témoigne une once d’amour ou de respect. Au fond, tous auraient pu la tuer. C’est l’une des plus belles audaces du film que d’assumer d’emblée leur film pour ce qu’il est. Non pas un polar tendu vers la résolution d’une énigme et la révélation de l’identité de l’assassin, mais la recherche, sombre et tourmentée, du mobile du crime. Pourquoi ? Pourquoi tuer, qui plus est d’une façon aussi atroce, une jeune fille heureuse de vivre, de séduire, d’aimer ? La réponse viendra au mitan du film, lors d’une confrontation entre Yohan et Stéphanie, la meilleure amie de Clara. Elle ouvre une brèche, abyssale, pour le policier. « Qu’est-ce que ça change ? On dirait que je parle d’une pute. Elle s’est fait tuer parce que c’était une fille. Voilà, c’est tout. » Et le personnage de Yohan de voir petit à petit son système de pensée se déconstruire à partir de cette parole de femme, puissamment évidente.

 LE MOT, OMNIPRÉSENT, QU’ON NE PRONONCE PAS. Féminicide. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Des meurtres d’hommes jugés par des hommes et dont les femmes sont les victimes. Et ce sont les femmes, magnifiquement interprétées, qui ouvrent les yeux de Yohan. Stéphanie (Pauline Serieys), la meilleure amie. Nadia (Mouna Soualem), la jeune recrue et seule femme de la brigade, le temps d’une planque en « sous-marin » sur les lieux du crime, énonce une évidence. Car c’est bien connu, quand elles ne crèvent pas les yeux, les évidences rendent aveugles.  « Vous ne trouvez pas ça bizarre que ce soit majoritairement les hommes qui commettent les crimes, et majoritairement les hommes qui sont censés les résoudre ? ». Et la juge d’instruction, jouée superbement par Anouk Grinberg. C’est dans son bureau que Yohan fend l’armure. « Ce qui m’a rendu dingue, c’est que tous les types qu’on a entendus auraient pu le faire. C’est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes. »

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La fiche

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