DECISION TO LEAVE, de Park Chan-Wook

Film
Bien
Très bien
Un Must
Cluedo amoureux

Le pitch

Une étrange affaire vient réveiller Hae-Joon, policier chevronné, solitaire et méticuleux, œuvrant dans la grande ville de Busan. La chute mortelle d’un homme depuis le sommet d’une montagne à pic. Suicide ? Accident ? Les soupçons se portent sur sa jeune veuve, immigrée chinoise à l’attitude indéchiffrable, au passé trouble. Et cette femme subjugue d’emblée le policier fatigué, qui la suit et l’épie.

Entre le film noir, Hitchcock et le film d’amour, Park Chan-wook choisit de ne surtout pas choisir, et de tout faire à la fois, conscient qu’il s’agit au fond d’une seule et même chose. Le résultat est une exploration poétique du temps, de la perte et de la nostalgie, combinant la cinématographie luxuriante caractéristique de Park avec la tension sexuelle qui couve entre le policier bien élevé et la séduisante suspecte du meurtre. Un très beau film où il faut accepter de se perdre.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce que Park Chan-wook, en grand maître de l’esthétique, signe un thriller urbain plein de style, à la mise en scène d’une grande élégance, justement récompensée à Cannes. Car il y qui joue habilement des temporalités, de la géographie, du montage, pour nous raconter l’histoire d’une rencontre amoureuse inattendue. La lente montée du désir. Parce qu’on retrouve son goût de l’érotisme dans ce superbe polar amoureux, retors et romantique, réalisé avec grâce, bourré de trouvailles stylistiques et d’humour. Parce que ce film, indéniablement influencé par Sueurs Froides d’Hitchcock, construit en deux actes, nous parle de manipulation, inhérente à toute enquête criminelle, mais peut-être aussi à toute relation amoureuse ? Car ce cinéaste sentimental filme avec délicatesse une enquête comme une liaison qui ne veut pas mourir, qui obsède, qui envahit tout. Cela s’appelle la passion. Parce que Park Chan-wook nous perd dans un dédale de suppositions, un océan de beauté bercé par la 5e Symphonie de Mahler, dans lequel on se perd avec enchantement.

LE FILM DE LA MATURITÉ. La série Squid Game, Parasite, de Bong Joon-ho (2019), la K-pop … la culture coréenne triomphe un peu partout dans le monde depuis des années. Chan-wook, le réalisateur de Decision to Leave, s’était fait connaître et reconnaître, lui, bien avant cette vogue : d’Old Boy (2003, Grand Prix du jury à Cannes) à Mademoiselle (2016), il a enchaîné des thrillers conçus comme des spectacles ludiques quoique sanglants. Il a inspiré toute une génération de cinéastes du genre « noir coréen », des films sur des meurtres sauvages et des vengeances brutales dans le milieu criminel, présentés avec une cinématographie somptueuse. Et, avec plutôt un joli succès, notamment en France. La bonne surprise est de le voir aujourd’hui changer de cap plutôt que surenchérir sur la vitalité volontiers explosive, à la limite du gore, de la vague coréenne. Pour se tourner vers un cinéma plus adulte, introspectif et sentimental. Une certaine maturité inédite qui est loin de nous déplaire, et que l’on retrouve chez es personnages, plus assagis. Voire désabusés. « C’est calme, en ce moment » constate le héros en s’adressant à son lieutenant. C’est l’ennui qui guette ce policier chevronné et un poil blasé. Policier à la ville, il rejoint sa femme les week-ends, dans une petite ville balnéaire. Tout est bien rôdé, sans surprise, dans leur vie qui ne ménage plus aucune surprise. Jusqu’à l’irruption de cette étrange affaire.

VERTIGO REMIX. Le vertige, la spirale, le tourbillon comme motifs principaux, qui entraînent, ensorcellent, et finissent par tout engloutir. Pas de doute, Decision to Leave n’est pas sans avoir certaines analogies avec le fameux Vertigo (Sueurs froides, 1958) d’Alfred Hitchcock. Devenu au fil du temps un film culte, très souvent cité en référence par les cinéphiles de tous poils, et ayant inspiré d’autres œuvres mémorables signées David Lynch (Mulholland Drive) ou encore Brian de Palma (Obsession, Pulsions, Body Double). Et l’engouement des créateurs pour cette histoire d’amour, de mirage et de mort n’a jamais faibli. Dans l’original, le détective, sujet au vertige (James Stewart), se laisse déborder par sa fascination pour l’épouse supposément suicidaire (Kim Novak) de son client, qu’il est chargé de surveiller et protéger… Park Chan-wook propose une histoire singulière, mais scindée comme Vertigo en deux parties distinctes, la seconde commençant également après la dépression du héros, persuadé d’avoir échoué dans sa mission. Panique sur les toits, multiplicité des indices contradictoires, vertige de l’enquêteur, intimité amoureuse mais platonique, comme irréelle, naissant entre l’enquêteur et la suspecte, puis le grand silence, le spectre du suicide… les références au chef-d’œuvre d’Hitchcock sont nombreuses et plus ou moins évidentes, sans pour autant oblitérer la passionnante virée de Park Chan-Wook.

UNE HISTOIRE D’AMOUR MORTIFÈRE. Lauréat du prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2022 pour Decision to leave, Park Chan-wook nous éblouit une fois encore par ses montages acrobatiques et sophistiqués que l’on retrouvait dans ses premiers films. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Derrières les coups de théâtre, les atermoiements et présomptions alternées d’innocence et de culpabilité, le cœur du sujet se situe ailleurs. Dans une dramaturgie plus secrète et plus sombre. Une histoire d’amour mortifère. Une attraction des contraires. Où le flic respectueux et intègre tombe amoureux de la femme qui ne peut que détruire sa vie. Et une jeune femme énigmatique, belle, mystérieuse, séduite par la droiture de l’homme. Les deux héros se rencontrent, se parlent, se cherchent, se trouvent, s’échappent, se poursuivent. La mise en scène est un perpétuel jeu de regards, qui se croisent, en coin, à la dérobée, entre œillades et appels à l’aide, un ballet d’effleurements, d’esquives et de courants d’air. Le film revient à l’essence même du film voyeuriste : la distance qui nous sépare de l’objet aimé. Distance spatiale, physique, symbolique, infranchissable. Je t’observe, je t’écoute, je pense à toi jour et nuit, nuit et jour, je punaise ta photo sur mon mur, mais je ne sais pas qui tu es. Une éternelle fuite en avant où les deux héros s’aiment sans pouvoir s’aimer ni se le dire, se parlent sans pouvoir se comprendre. La caméra de Park Chan-wook filme avec grâce et sensibilité ces errements de la passion, forcément dramatique.

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La fiche

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