RECKLESS, de Brubaker et Philips

Pour retrouver un duo d’auteurs très talentueux qui sait nous faire voyager dans un monde sombrissime, nourri de faux-semblants et de mises en abîme. Pour arpenter le Los Angeles interlope des années 70 et 80, avec des personnages de dur à cuire classiques, mais efficaces. Parce que ce premier tome augure bien du reste de la série (trois à date, en novembre 2021, dont le premier traduit en français).

ETHAN RECKLESS, ANTI-HÉROS ATTACHANT. « En dehors de la colère – et même ça, c’est rare –, la plupart de mes émotions sont hors de portée », confie notre narrateur qui se démène avec un passé aussi encombrant que fuyant. Amnésie, addictions, perte d’identité, sentiment de trahison, absence d’émotions, blessures sentimentales : Reckless est un héros en souffrance. C’est aussi un être déshumanisé, capable de faire preuve d’une extrême violence. Une dualité qui répond à celle du révérend Powell incarné diaboliquement par Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur, film de référence pour notre héros. Ethan Reckless, un tempérament de risque-tout téméraire, comme son nom l’indique (ie reckless in english)…

UNE AMÉRIQUE SOMBRE ET COMPLEXE. Comme toujours, le duo Brubaker/Phillips offre un récit à plusieurs niveaux de lectures, riche de nombreuses chausse-trappes, avec un fil directeur : la noirceur du monde. Les personnages, complexes, dénoncent au gré de leurs dérives et aventures, les ambiguïtés et trahisons des agences gouvernementales et de l’armée. CIA, FBI, guerre du Vietnam : l’Amérique des années 70 et 80 ne fait pas vraiment rêver. Les méandres de l’histoire sont aussi prétextes à dévoiler les fêlures des personnages (nombreuses et de tous ordres) pris au piège dans un système qui met à mal la morale et la fidélité.

POUR LE DESSIN DE SEAN PHILLIPS. Cet auteur britannique qui a bâti une bonne partie de sa carrière sur les personnages de comics (Judge Dredd, Batman, Hulk…) a décidément un style qui me plait. Très identifié. Avec un usage intensif des ombres, donnant vie à un dessin plus ou moins réaliste mais troujours intense et suggestif. Faussement naïf. Un hommage aux films noirs de belle facture.