HOUND DOG, de Nicolas Pegon

BD
Bien
Très bien
Un Must
Chienne de vie

Le pitch

Dans une Amérique périurbaine en perdition, le périple de deux paumés et d’un clébard sans nom dont ils aimeraient se débarrasser. Un album drôlement étrange, très personnel, qui multiple les fausses pistes. D’un humour (très) noir, sous influence de blues américain, de Charles Burns et des frères Coen. Sous l’œil impavide et miséricordieux du dieu Elvis. Un Fauve Polar SNCF Angoulême 2023 totalement mérité.

« You ain’t nothin’ but a hound dog / Cryin’ all the time / Well, you ain’t never caught a rabbit / And you ain’t no friend of mine. »

« T’es rien qu’un chien de chasse / Toujours à chialer / T’as jamais chopé de lapin / Et t’es pas mon pote », Elvis Presley, Hound Dog, 1956.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car c’est une histoire aussi dense qu’imprévisible. Pour l’atmosphère noire, poisseuse, tout à fait singulière, d’un humour noir irrésistible, qui n’est pas sans rappeler un certain Jim Thompson. Pour César et Alexandre, deux losers magnifiques, désabusés, éminemment attachants. Pour la patte graphique de Nicolas Pegon tout en clair-obscur.

DEUX LOSERS MAGNIFIQUES.  Comme directement sortis d’un scénario des frères Coen. L’un, César, chômeur, barbu dégarni, n’arrive plus à bouger son bras gauche, sans aucune explication médicale valable. Il vit mal sa condition physique dégradée, comme toute sa vie du reste, sur laquelle il semble n’avoir plus aucun contrôle. Son voisin et pote Alexandre a quant à lui une théorie sur tout, s’imagine avoir connexion particulière avec Elvis et veut jouer les gros durs, histoire de se prouver qu’il existe.  Et puis au milieu il y a ce chien, à leur image, gros, inadapté, pas méchant, mais loin d’être une lumière. Pour réaffirmer leur masculinité en berne, ils vont décider de se lancer dans une enquête sur un suicide qu’ils imaginent être un homicide. Celui du propriétaire dudit chien…

LA FIN D’UN MONDE. Nicolas Pegon propose la vision d’une Amérique au bord de la ruine, un pied dans la décharge, l’autre au bord du précipice. Il en tire des images inattendues, une atmosphère ambiguë, hésitant entre balade bluesy et polar tragicomique. En dézoomant, ce qui transparaît dans Hound Dog, c’est finalement le long effondrement d’un monde, le nôtre. Une civilisation en déclin qui se meurt doucement mais sûrement. Où les hommes ont déjà jeté l’éponge, subissant les événements sans vraiment se poser de questions, sans trop savoir non plus s’ils ont déjà touché le fond ou s’ils peuvent encore plonger plus bas. Le scénario se fait très cinématographique, avec de belles fulgurances de mise en scène, et se décompose en peu de cases pour un maximum d’effet. L’encrage appuyé du dessin, ses lignes épaisses, la colorisation en une gamme restreinte de teintes en aplats, participent d’un rendu en clair-obscur pessimiste absolument cohérent. Et miraculeusement, cette vision vraiment noire et écalée, sur le fond comme sur la forme est traitée avec un humour pince sans rire en sous-texte permanent qui fait passer le message avec une certaine bonhomie.

UN HUMOUR (TRÈS) NOIR IRRESISTIBLE« Dire que ce truc descend du loup… » philosophe César en observant ce chien qui est apparu un beau matin au pied de son lit. Un exemple parmi les nombreux monologues truculents qui essaiment le récit et où nos deux pieds nickelés nous régalent de leurs divagations, ressassent leurs théories fumeuses, leurs grandes phrases foireuses. L’auteur avoue « Il y a une sorte de poésie bancale dans la psychologie de comptoir, une esthétique de la « lose » à laquelle je suis sensible. » J’avoue, moi aussi. Quel régal.

« – Le syndrome de Blondi, ça te dit rien ?

Comment tu reconnais un vrai connard ? Il aime les chiens. Pas foutu de s’entendre avec le reste de l’humanité. Le connard se persuade que c’est quand même un type bien parce qu’il adore les chiens. Regarde, Poutine adore les chiens. Bush, il en fait des peintures.

– Et pourquoi Blondi ?

– C’est le nom de la chienne d’Hitler. Sors de chez toi un peu. »

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Si vous avez aimé, découvrez du même auteur

Nicolas Pegon s’est formé au graphisme à Estienne, puis au cinéma d’animation aux Gobelins. Il est réalisateur de courts-métrages, de clips et de publicités au sein du collectif CRCR.

Il est l’auteur du court-métrage intitulé « One after the other », docu-fiction en animation sur le bluesman américain Grant Sabin qu’il a écrit et réalisé chez Miyu Productions.

 Les Os creux, la tête pleine (Éditions Réalistes, 2019), où le dessinateur et réalisateur français imaginait le destin tordu d’un ado. À dix-sept ans, Georges a une dent contre le monde entier. C’est une certitude pour lui, mais, ce matin-là, il reste figé. Assis sur le lit de ses parents, Il attend, il hésite. Car aujourd’hui, Georges a prévu d’entrer dans son lycée armé d’un fusil.

À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Black Hole, de Charles Burns, 6 tomes de 1998 à 2005 (Intégrale sortie en 2006, Delcourt).

Dans une petite ville américaine, une étrange maladie fait son apparition. Ce mal, vite baptisé « la Crève », affecte exclusivement la population adolescente. Les symptômes, aussi variés qu’imprévisibles, provoquent parfois d’ignobles mutations. Rapidement, les pestiférés s’isolent et tentent de vivre avec cette maladie venue de nulle part.

Mon chien stupide (My dog stupid, 1985), de John Fante. Traduit de l’américain par Brice Matthieussent. Une tragi-comédie de la crise individuelle d’un auteur qui connait une mauvaise passe : crise d’adolescence à retardement, démon de midi, couple en déliquescence. John Fante signe ici un roman touchant, débordant de compassion et d’acide lucidité.

Les frères Coen ne sont pas loin de l’univers Hound Dog. Et notamment :

 The Big Lebowski (1998). 1h57. Avec Jeff Bridges, Julianne Moore, John Goodman, Steve Buscemi, Philip Seymour Hoffman, John Turturro. Jeff Lebowski, prénommé « The Dude », est un paresseux qui passe son temps à boire des coups avec son copain Walter et à jouer au bowling, jeu dont il est fanatique. Un jour deux malfrats le passent à tabac. Il semblerait qu’un certain Jackie Treehorn veuille récupérer une somme d’argent que lui doit la femme de Jeff. Seulement Lebowski n’est pas marié. C’est une méprise, le Lebowski recherché est un millionnaire de Pasadena. Le Dude part alors en quête d’un dédommagement auprès de son richissime homonyme. Film culte. Absurde. Inclassable.

Burn After Reading (2008). 1H32. Avec George Clooney, Brad Pitt, Frances McDormand, John Malkovich, Tilda Swinton. Dans cette parodie de film d’espionnage se télescopent deux univers qui n’ont rien à voir : celui, feutré, de la CIA, et celui, tapageur, d’un club de gym. Truculent.

Inside Llewyn Davis (2013), 1h45. Avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake, Ethan Philips, John Goodman. Une semaine de la vie d’un jeune chanteur de folk dans l’univers musical de Greenwich Village en 1961.  Malgré son talent, Llewyn (l’excellent Oscar Issac) va de déconvenues et déconvenues. Alors qu’il accumule les petits boulots et désespère de percer un jour, il croise la route du géant de la musique Bud Grossman, qui n’a que mépris pour les musiciens folks. Contre toute attente, celui-ci finit par lui proposer une audition.