COLORADO TRAIN, d'Alex W. Inker

BD
Bien
Très bien
Un Must
Fresque adolescente horrifique

Le pitch

Milieu des années 1990. Des rails de chemin de fer, une mine, une ville pauvre écrasée de toutes parts par les montagnes rouges du Colorado qui s’enfonce dans l’hiver.  Dans cette Amérique  » profonde « , oubliée dans une décennie de prospérité économique, grandissent tant bien que mal quatre ados, Michael, Durham, Donnie et Suzy. La vie est belle parfois, rarement, entre le skate, l’école, buissonnière, les rêves, le rock’n’roll, les premières fois. Un jour un enfant disparait. Il est retrouvé quelques jours plus tard, dans un sale état. Les quatre potes décident d’enquêter. Dans l’ombre, le tueur les regarde s’agiter.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce qu’Alex W. Inker est un auteur aussi talentueux que prolifique, qui ne cesse de nous surprendre par ses prises de risques. Car c’est une BD d’horreur de très grande qualité est aussi et surtout une fresque adolescente où l’on suit une bande de jeunes rebelles mais solidaires, confrontés au Mal incarné, certes, mais surtout à ce mal de vivre à fleur de peau, cette soif d’ailleurs, ces premiers flirts maladroits. Un sujet magnifique. Pour la bande son* et le flashback dans les années 90. Car le dessin sombre et angoissant est au diapason du malaise persistant qui nous imprègne à la lecture de ce magnifique roman graphique. Un des best of 2022.

* pensez à scanner le QR code en fin de bouquin pour retrouver la playlist nineties de l’auteur. Pure merveille et immersion garantie !

 

BANDE DE JEUNES. Adaptée du roman éponyme de Thibault Vermot, Colorado Train est l’histoire (transposée des années 40 aux années 90) d’une enquête menée par des gosses, véritables outsiders, rejetés par leurs semblables car ils ne collent pas aux standards dans l’Amérique profonde de la génération Converse, walkman et skateboard. Des ados livrés à eux-mêmes, tuant l’ennui à coup d’alcool, de cigarettes et d’errances sans fin, dans un monde où les adultes ont échoué à prendre en charge leur jeunesse tant ils s’échinent à survivre entre violences conjugales, pauvreté, alcoolisme et traumas de la guerre du vietnam. Des gamins rebelles mais solidaires dans l’adversité car ils ont compris qu’ensemble, il fait plus chaud, et que les harceleurs s’en prennent plus facilement aux individus esseulés. Un récit sombre qui traite de l’insouciance de l’adolescence confrontée à la cruauté de la société, de la sphère familiale, des adultes, dans ce trou paumé où des gens en bout de course n’en finissent pas de croupir, s’abîmer dans l’alcool, la came et les médocs.

LA MUSIQUE DU DIABLE. Alex W. Inker n’est jamais là où on l’attend. En six albums et une douzaine de récompenses, le jeune (36 ans) auteur ne cesse de se remettre en question et de nous surprendre avec des propositions graphiques, stylistiques, thématiques, diverses et variées.  Après l’Amérique paysanne des années 20 et la France ouvrière du XIXe siècle, il nous embarque cette fois dans l’Amérique profonde des années 90 – celle des oubliés, des sinistrés de la désindustrialisation – pour une histoire horrifique menée à un train d’enfer. Où chaque mini chapitre est introduit par un titre pop qui nous ancre fermement dans l’époque. Back to School de Deftones, Incinerate des Sonic Youth, Bullet with Butterfly Wings des Smashing Pumpkins, Three Imaginary Boys de The Cure…Une playlist qui rythme la mise sous tension de cette BD d’horreur. Un genre mineur en Europe, un peu moins aux États-Unis et au Japon, et ici remarquablement investi par un jeune auteur éminemment talentueux.

UNE AMÉRIQUE EN NOIR (ET BLANC). D’un album à l’autre, Alex W. Inker poursuit une fresque à coloration sociale des États-Unis, un pays aimé mais qui n’a rien de cocagne. De Panama Al Brown à Un travail comme un autre, son Amérique à lui est pauvre et littéraire, comme sortie d’un roman de Steinbeck ou de John Fante. Pour Colorado Train, il est allé cette fois puiser du côté de Stephen King, maître incontesté de l’horreur, attaché aux thématiques récurrentes de l’enfance et de l’amitié mises à rude épreuve, le tout dans une ambiance anxiogène. Pour coller aux atmosphères glauques et poisseuses requises pour ce polar teinté d’horreur, Inker a opté pour un dessin très charbonneux, expressif et riche en détails, abandonnant ici ses habituelles bichromies et trichromies pour un noir et blanc parfaitement maîtrisé qui traduit l’intensité et la désolation des friches industrielles, zones périurbaines, terrains vagues, mines abandonnées, tempêtes de neige, voies ferrées et trains de marchandises qui innervent le récit. Cette part d’Amérique sombre, perdue, abandonnée, est remarquablement traitée dans cet album qui vient compléter l’univers graphique de cet artiste furieusement original.

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La fiche

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Alexandre Widendaële, connu sous le nom de Alex W. Inker, est un auteur de bande dessinée français. Son nom de plume vient d’inker, encreur en anglais. Six albums en six ans (2016-2022) et une douzaine de récompenses dans le même temps.

Apache, son 1er album publié chez Sarbacane en 2016. Lauréat du Prix SNCF du polar 2017, catégorie bande dessinée.

Panama Al Brown. L’Énigme de la force (2017), biographie à tiroirs du boxeur mondain, amant de Jean Cocteau. L’ouvrage est sélectionné pour le Prix Töpffer international 2017.

Servir le peuple (2019), est l’adaptation du roman de Yan Lianke. L’ouvrage est notamment en compétition officielle au Festival d’Angoulême 2019, et figure parmi les cinq finalistes du Grand Prix de la Critique 2019 de l’ACBD.

Un travail comme un autre (2020), est à nouveau l’adaptation d’un roman, écrit cette fois par l’Américaine Virginia Reeves (Work Like Any Other, 2016). L’ouvrage fait partie des cinq finalistes pour le Grand Prix de la Critique 2021.

Fourmies la Rouge (2021), se rapporte aux tensions entre ouvriers et patrons de l’industrie textile. En ce 1er mai 1891 une manifestation a lieu, une manifestation qui se terminera en sang.

À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Stand by me, de Rob Reiner (1987). D’après Stephen King (une longue nouvelle intitulée Le Corps, The Body, 1982). Avec River Phoenix, Richard Dreyfuss, Corey Feldman. Un événement peu ordinaire va marquer la vie du jeune Gordie Lachance. Au cours de l’été 1959, un adolescent a disparu mystérieusement dans l’Oregon. Gordie et ses inséparables copains, Chris, Teddy et Vern savent qu’il est mort. Son corps git au fond des bois. C’est le frère de Vern qui l’a découvert. Les enfants décident de s’attribuer le scoop et partent pour la grande forêt de Castle Rock. Cette aventure va rester pour Gordie et ses trois amis la plus étrange et la plus exaltante de leur vie. Dès 10 ans.

Whassup rockers, de Larry Clark (2006). 1h45. Avec David Livingston, Jonathan Velasquez, Francisco Pedrasa. Pour sortir du quotidien de leur ghetto du centre sud de Los Angeles, un groupe de jeunes mexicanos, fans de culture punk, opte pour aller skater à Beverly Hills. Là-bas, ils se lient à des jeunes filles de familles riches et leur présence détonne très vite dans le paysage local.