SEVERANCE, de Dan Erickson et Ben Stiller

Série TV
Bien
Très bien
Un Must
Comme des rats

Le pitch

La multinationale Lemon Industries inaugure une procédure controversée qui consiste à opérer une dissociation (severance en anglais) des souvenirs personnels et professionnels de ses employés, par la pose d’un implant dans le cerveau. Créant deux individus dans un même corps. L’un incapable de se remémorer ce qu’il a fait durant sa journée de travail, l’autre limité à sa vie de bureau. Fausse bonne idée ? Si votre métier vous obsède, vous suit jusque chez vous, envahit vos soirées et si vous pensez que ce serait formidable de rendre parfaitement imperméables les mondes pros et persos… Regardez Severance pour réévaluer votre jugement. Souvent absurde, parfois abstraite, Severance est une série dystopique remarquable qui double sa critique féroce du monde de l’entreprise d’une méditation originale sur la condition humaine. Un polar kafkaïen doublé d’une réflexion dérangeante sur l’éthique de travail. Une série originale qui fera date. À classer parmi les toutes meilleures.

PS : La scène finale, où l’on est bombardé de révélations et de nouvelles questions, ouvre la porte pour une saison, déja dans les tuyaux, qu’on a hâte de découvrir.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car cette série magnifiquement filmée est portée par une distribution absolument incroyable. Pour le générique, somptueux et la bande originale, entêtante. Parce que The Office y rencontre Black Mirror. Car c’est un film d’horreur sur le monde de l’entreprise, une métaphore de ce vide que l’on peut ressentir quand on se sent totalement étranger à son travail. Car Severance illustre, non sans touches d’humour et une interprétation subtilement décalée, l’aliénation du travail dans une entreprise dont la philosophie n’est pas très loin du totalitarisme.

INTERROGER LE SENS DE LA VIE. ET LE SENS DU TRAVAIL. Le ton, le rythme, le thème, l’esthétique. Tout est curieux et surprenant dans cette fable dystopique qui imagine un monde futuriste étrange où les souvenirs de la vie professionnelle et de la vie personnelle sont dissociés. Une série qui frise l’absurde où des « raffineurs de macro-datas » ignorent le sens même de leur travail (et nous avec). Attablés à leurs desks dans un open-space quasi vide, sans fenêtres, perdu dans un labyrinthe de couloirs d’un blanc éblouissant, ils passent leurs journées à trier des chiffres sur leurs écrans sous la supervision d’une clique de gourous qui respectent religieusement les consignes d’une direction invisible. Tout ce petit monde passablement lobotomisé ne se souviendra de rien une fois revenus dans ses foyers. Jusqu’à l’apparition d’une étincelle d’humanité, de doute, et donc de révolte – dans ce monde aseptisé et ultra contrôlé. Interrogation sur le sens de l’existence et du travail, infantilisation et manipulation des employés, solitude de la société contemporaine… Cette satire qui questionne le monde de l’entreprise et ses étrangetés porte par ailleurs une intrigue très bien ficelée. Où l’irruption d’un mystérieux collègue en dehors du bureau enclenche une longue quête de vérité sur la vraie nature de leur job. Pur produit d’une Amérique désenchantée, cette dystopie témoigne d’un changement de mentalité sur le rapport au travail. Out la vision d’une entreprise où l’on pouvait se « réaliser », se trouver des amis, voire même une famille. Dans Severance, impossible de lier des relations franches dans la durée, puisque l’être que vous êtes au boulot n’a pas grand-chose à voir avec celui que vous êtes à l’extérieur. Impossible de vous réaliser par le travail car vous ne tirez aucune gratification de votre journée, absurde et sans but.

UNE ESTHÉTIQUE RÉTRO FUTURISTE CLINIQUE renforce encore l’étrangeté de cet univers suffocant. La mise en scène absolument magnifique, millimétrée (signée Ben Stiller pour 6 des 9 épisodes), tout en symétries, nous aspire dans le bâtiment monumental de Lumon Industries (l’emblématique Bell Works conçu par l’architecte moderne Saarinen) où l’ascenseur fait office de SAS de déshumanisation. Une méticulosité dans les images et les plans qui pourrait paraître glaçante de prime abord. Or le spectateur patient et concentré appréciera la progression de la narration vers plus d’humanité et d’émotion à partir de l’épisode 4 où l’on va basculer dans le thriller social et comprendre les réels enjeux de la série. Plutôt que de dénoncer un système, on va partager l’expérience ahurissante des quatre personnages hors-norme qui vont progressivement devenir terriblement attachants. À priori imperméables, les deux réalités vont commencer à se parasiter, l’émotion à s’inviter par petites touches pour dessiner une aventure collective portée par une distribution de haut vol.

UN CASTING DE RÊVE. La dualité vie pro / vie perso est crédible parce qu’incarnée par des acteurs talentueux qui parviennent à jouer en alternance, parfois de manière quasi concomitante, des êtres robotisés au visage neutre et des êtres constitués de chair et d’émotions. Un exercice schizophrène qui donne le vertige. Adam Scott (Big Little Lies, Parks and recreation), Britt Lower (Man Seeking Woman), Zach Cherry, John Turturro et Christopher Walken jouent les cinq cadres en plein doute existentiels avec beaucoup de justesse, à en devenir touchants. Patricia Arquette en cheffe impitoyable et gouroutisée est absolument atroce et désopilance.

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La fiche

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À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Black Mirror, série Britannique de Charlie Brooker (depuis 2011, 6 saisons, 24 épisodes de 60 minutes). Chaque épisode de cette anthologie montre la dépendance des hommes vis-à-vis de tout ce qui a un écran.

Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), de Michel Gondry, sur un scénario de Charlie Kaufman, où des amoureux sont séparés après que l’une a décidé d’oublier volontairement l’autre grâce à un lavage du cerveau.

 THX1138 (1971), film américain de George Lucas. 1h28. Avec Robert Duvall, Donald Pleasence, Don Pedro Colley. Les hommes vivent désormais sous terre et leur vie est entièrement régie par l’ordinateur. Un homme, THX 1138, va tenter de s’enfuir de ce monde impossible.

Roller Ball (1975), film américain de Norman Jewison. Avec James Caan, John Houseman, Maud Adams. Quand les cadres dirigeants se seront substitués aux hommes politiques, et que les Etats auront été remplacés par six départements mondiaux : Énergie, Luxe, Alimentation, Logement, Communications et Transports… Un classique de la SF.