LEUR DOMAINE, de Jo Nesbø

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Petits meurtres en famille

Le pitch

C’est l’histoire d’un lieu, une ferme encaissée dans un petit bourg de Norvège, en montagne. Et d’une famille, tordue et tragique, les Opgard. En particulier celle des deux frères, autrefois inséparables, qui se retrouvent après des années d’éloignement. Roy, l’aîné, est resté et tient la station-service du coin. Carl, parti depuis un bail, revient au bercail auréolé d’études à succès au Canada, une épouse exotique au bras. Peu à peu, les lourds secrets de la famille refont surface, les vieilles tragédies en engendrent de nouvelles, inéluctables, et enclenchent une spirale infernale. Un douloureux deuil du passé s’amorce.

Un roman de Nesbø sans Harry Hole (son héros récurrent, flic alcoolique, asocial, constamment sur la crête, soumis aux pires états), mais à l’image de l’ensemble de son œuvre : sombre et labyrinthique. Jamais en noir et blanc, mais en variations de gris foncé. Éblouissant par sa finesse narrative et parfaitement déstabilisant par le spectacle qu’il donne des ambiguïtés morales de ses personnages.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car Jo Nesbø est un conteur hors pair, maniaque et retors, qui prend son temps pour instiller une ambiance étouffante, celle d’un huis clos familial gorgé de lourds secrets. Pour la construction narrative qui maintient un suspense éprouvant, qui ne cesse de s’amplifier au fil des chapitres. Parce qu’une fois de plus c’est l’ambiguïté morale qui intéresse l’auteur dans ce 19ème roman, une histoire de famille pleine de bruit et de fureur, qui se dévoile dans un enchaînement de violence inouïe dont il a le secret. Car tout l’art de Nesbø est là : pousser un personnage à bout, questionner ses actes, observer l’usage qu’il fait de son libre arbitre, les choix qui en découlent et la morale qui les sous-tend. Et c’est passionnant.

MA FERME EN NORVÈGE. Leur Domaine (Le royaume si l’on s’en tient au titre original) parle d’abord d’une terre, d’un lieu. Une ferme de montagne, haut perchée, solitaire, régulièrement balayée par le vent et la tempête. Un endroit magnifique mais désert, juste relié au monde par une route dangereuse, en lacets, au bord d’un précipice. Là, tout se noue. Tout se dénoue. Tout se précipite.

UNE STRUCTURE NARRATIVE COMPLEXE. Où l’auteur joue sur les temporalités, passe sans cesse du présent au passé, distille les informations au compte-goutte, par bribes, laissant le lecteur mesurer peu à peu l’ampleur du dérèglement de cette famille hautement toxique. L’intrigue ne se dénoue que dans le dernier tiers du livre, dans une progression qui avance crescendo. Cette construction savante est sans doute un des enjeux principaux du livre, enfermant le lecteur dans un récit sans échappatoire, à l’atmosphère de plus en plus étouffante et glaçante.

L’ENFER, C’EST LES AUTRES. La famille, le couple, le village, aucune cellule n’est innocente. L’ambiguïté, la névrose et la violence plus ou moins larvée sont inhérentes à la nature humaine, nous dit Nesbø. Tout l’objet du roman sera de dévoiler peu à peu l’envers du décor, les sales secrets de cette famille dont les liens sont dès l’origine totalement toxiques. Roy, le frère aîné et narrateur, est resté sur le domaine familial, enfermé dans la mémoire délétère des lieux, rongé par la culpabilité de n’avoir pas su protéger son petit frère lorsqu’ils étaient enfants. Tandis que le frère cadet a brisé les chaînes pour faire fortune au Canada. Afin de mieux revenir à bord d’une voiture de luxe, une femme fatale au bras. Leur Domaine dessine alors un oppressant triangle amoureux et un enfermement social qui fait froid dans le dos. Le constat : il est impossible de sortir de sa condition ni de ses vices. Encore moins de sa famille. Seule la mort apparaît comme une issue. Avec une certaine dose de cynisme, Jo Nesbø dresse, au bout du compte, un portrait acide des valeurs familiales et surtout de l’amour fraternel. Car si tout au long du livre, les personnages exaltent la famille – Roy a été élevé dans cette idée qu’elle est le seul rempart – « Nous n’avons que nous-mêmes et personne d’autre », lui a dit son père quand il avait 15 ans – leurs liens familiaux s’avèrent totalement pervertis, marqués dès l’origine par ce qui s’est passé dans l’enfance des deux frères. Quelle est dans ce cadre la liberté de choix de Roy ? C’est la question centrale -angoissante – du roman. Racontée du point de vue dudit Roy, narrateur qui a une fâcheuse tendance à justifier l’injustifiable.

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La fortune sourit sans faillir à l’écrivain norvégien Jo Nesbø. Chanteur de rock à succès dans sa jeunesse (ancien leader du groupe très populaire Di Derre, « ces gars », dans les années 90), footballeur professionnel sacré meilleur jeune joueur en 1978 – carrière interrompue par une déchirure des ligaments –, analyste financier, journaliste économique… Il est aujourd’hui scénariste et l’auteur de polars qui se vendent par millions.

Au fil des ans, Harry Hole, son flic balafré aux multiples dépendances qu’ont rendu familiers douze ouvrages traduits en français (Gaïa, 2002-2005, Gallimard, 2006-2019) a affronté des tueurs en série et des psychopathes. Il a défié des néonazis, traqué des proxénètes et pourchassé des trafiquants de drogue.

Vous pouvez lire les yeux fermés tous les épisodes de la série :

L’Homme chauve-souris, Gaïa, coll. Polar, 2002 (Flaggermusmannen, 1997), Prix Riverton 1997 et prix Clé de verre 1998. Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2005

 Les Cafards, Gaïa, coll. Polar, 2003 (Kakerlakkene, 1998), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2006

Rouge-gorge, Gaïa, coll. Polar, 2004 (Rødstrupe, 2000), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2007

 Rue Sans-Souci, Gaïa, coll. Polar, 2005 (Sorgenfri, 2002), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2007

 L’Étoile du diable, Gallimard, coll. Série noire, 2006 (Marekors, 2003), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2008

Le Sauveur, Gallimard, coll. Série noire, 2007 (Frelseren, 2005), Réédition Gallimard, coll. Folio policier , 2009

 Le Bonhomme de neige, Gallimard, coll. Série noire, 2008 (Snømannen, 2007), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2010

Le Léopard, Gallimard, coll. Série noire, 2011, (Panserhjerte, 2009), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2012

 Fantôme, Gallimard, coll. Série noire, 2013 (Gjenferd, 2011), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2014

 Police, Gallimard, coll. Série noire, 2014 (Politi, 2013), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2015

 La Soif, Gallimard, coll. Série noire, 2017 (Tørst, 2017), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2019

 Le Couteau, Gallimard, coll. Série noire, 2019 (Kniv, 2019), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2021

Certaines autres œuvres, tout aussi recommandables :

Chasseurs de têtes, Gallimard, coll. Série noire, 2009 (Hodejegerne, 2008), Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2011.

Le Fils, Gallimard, coll. Série noire, 2015 (Sønnen, 2014), Trophée 813 du Meilleur roman étranger 2016 et prix Michel Witta. Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2017

Macbeth, Gallimard, coll. Série noire, 2018 (Macbeth, 2018), trad. Céline Romand-Monnier, Réécriture, sous forme de dystopie destinée à un public contemporain, de Macbeth, la célèbre tragédie de Shakespeare. Réédition Gallimard, coll. Folio policier, 2020

À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Jon Lier Horst, l’autre vedette du frisson, parcourt sa Norvège rude et immense à longueur de romans. Ancien enquêteur, il publie en 2004 son premier roman, Nøkkelvitnet, qui est le premier volume d’une série consacrée aux enquêtes du détective William Wisting. Avec ses romans vendus à plus de 2,5 millions d’exemplaires et traduits en 26 langues, Horst est allé, loin des trépidations d’Oslo, découvrir la Norvège de la périphérie.

  • Fermé pour l’hiver, Gallimard, coll. Série noire, 2017 (Vinterstengt, 2011), Réédition, Gallimard, coll. Folio policier, 2018
  • Les Chiens de chasse, Gallimard, coll. Série noire, 2018 (Jakthundene, 2012), Réédition, Gallimard, coll. Folio policier, 2019
  • L’Usurpateur, Gallimard, coll. Série noire, 2019 (Hulemannen, 2013), Réédition, Gallimard, coll. Folio policier, 2020
  • Le Disparu de Larvik, Gallimard, coll. Série noire, 2020 (Blindgang, 2015), Réédition, Gallimard, coll. Folio policier, 2021
  • Le Code de Katharina, Gallimard, coll. Série noire, 2021 (Katharina-koden, 2017), Réédition, Gallimard, coll. Folio policier, 2022
  • La Chambre du fils, Gallimard, coll. Série noire, 2022 (Det innerste rommet, 2018)

Arnaldur Indriðason est un romancier islandais, encensé par Harlan Coben, qui considère son premier livre, Synir duftsins (Fils de poussière) en 1997, comme le départ d’une nouvelle vague islandaise de fiction criminelle. Son héros récurrent, l’abrupt Erlendur Sveinsson, est torturé par la disparition de son frère alors qu’il n’était qu’un enfant et tourmenté par sa fille toxicomane. Parmi ses plus fameux opus :

  • La Cité des Jarres (Mýrin, 2000). Traduit de l’islandais par Éric Boury (2005). Réed. Points Policier, 2006.
  • La femme en vert (Grafarþögn, 2001). Traduit de l’islandais par Éric Boury (2006). Réed. Points Policier, 2007.