LA PATIENCE DE L’IMMORTELLE, de Michèle Pedinielli

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Une virée au maquis

Le pitch

Dans les montagnes de l’Alta Rocca, près de Sartène, en Corse. Ghjulia « Diou » Boccanera est appelée à la rescousse par son ancien compagnon, Joseph Santucci, pour enquêter sur la mort de sa nièce Letizia Paoli. Diou débarque de Nice sur une île qu’elle a quittée depuis longtemps et dont elle dit ne plus maîtriser les codes. Un retour aux sources émouvant, drôle, violent. Un très bel hommage, sensible, au particularisme corse. Une virée en enfer qui a tous les atours du paradis. Dans une langue vivante, enlevée, menée à la baguette par une héroïne truculente. Une très jolie découverte.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce qu’il n’est pas nécessaire d’aimer (ou pas) la corse et ses habitants (peu loquaces) pour apprécier ce polar qui raconte la violence des hommes et le culte du secret qui verrouillent cette société insulaire indéchiffrable. Pour Diou, son humour, sa fragilité, sa fidélité absolue. Parce qu’il est rare de tomber sur une aussi belle intrusion dans l’âme et l’esprit corse, d’en restituer la part sauvage et magnifique. Probablement aussi parce que je connais si bien ces paysages, ces odeurs, ces tempéraments bien trempés que ce roman juste à clairement fait vibrer ma corde sensible de corse du continent.

POUR DIOU. Détective privée à Nice, Ghjulia Boccanera qui est une sorte d’électron très libre, qui mène ses enquêtes comme sa barque, c’est à dire absolument comme elle l’entend. La cinquantaine, célibataire, insomniaque, elle a le sens de la répartie, une méfiance autant qu’une affection tenace à l’égard des Corses qu’elle connaît intimement pour avoir été la compagne de l’un des leurs, Joseph Santucci, dit Jo. Lui-même flic, il ne fait pas confiance à la police du cru et lui demande de rappliquer sur l’île pour mener l’enquête de son côté. Dans les montagnes de l’Alta Rocca, elle va devoir se confronter à des habitants mutiques, encaisser des coups et affronter ses propres souvenirs tronqués. Entourée de la famille de Jo et de sa propre solitude. C’est un bien beau personnage de femme que nous offre là Michèle Pedinielli. Qui derrière son armure est touchante à bien de reprises. Rebelle et drôle, aussi. Comme lorsqu’elle répond au policier chargé de l’enquête qui lui assène « il vaudrait mieux que vous vous conformiez à cela : une parente venue faire son deuil, point barre. » Elle pense : « Il vaudrait mieux que vous vous conformiez, tudieu ! Il a dû oublier de lui donner le mode d’emploi quand il m’a présentée, Jo. Un ordre qui se déguise sous le masque du conseil, agrémenté d’un voile de menace, c’est exactement ce que j’aime. Quand en plus ça s’accompagne d’une injonction à rejoindre la norme… « Se confirmer », mon verbe préféré. Comme son copain « se confiner », censé te faire accepter une situation insupportable, voire, par la magie du verbe pronominal, te donner la chance de te l’infliger toi-même. Bref, j’ai bien compris que lui et moi, on n’allait pas aller très loin (…) »

POUR LE DÉPAYSEMENT. Dans les montagnes de la Rocca Sartenaise, Diou se retrouve isolée dans un caseddu, une petite maison en ruine que Jo retape au fil du temps, perdue dans le maquis Elle installe son bureau à deux pas, Chez Ange, le bistrot-bar-pmu du village pour tenter de remonter le fil de l’histoire et comprendre les raisons du meurtre de Letizia. Elle s’attaque notamment au blog que la jeune femme consacrait à des enquêtes personnelles. Incendies déclenchés sur des terres agricoles convoitées par des spéculateurs immobiliers. Vols d’oliviers millénaires. Arrangements avec la loi littorale. C’est tout ça et bien plus qu’elle explore lors d’une enquête qui se heurte au mutisme des habitants, au clanisme, au mystère du maquis.  « Née d’un mélange corse et italien » que l’on associe assez bien à Diou, Michèle Pedinielli nous dit dans cette patience de l’immortelle, tout son amour de la corse, de ses paysages, de ses habitants. « Entre deux branches d’olivier, le golfe du Valincu s’étale en contrebas. Ça va être compliqué de te décrire cet endroit sans tomber dans la carte postale. Parce que ça y ressemble furieusement. L’eau émeraude qui décide de virer au turquoise en léchant la bande blanche de sable. Et juste au-dessus le maquis, qui semble vouloir reprendre ses droits, histoire de ceinturer la frivolité de la plage de sa chênaie impénétrable. C’est vertigineux de beauté. »

À l’entendre, elle aurait perdu tout lien avec sa terre. Mais en la lisant, on n’y croit pas une seconde.  Parce qu’elle en comprend les codes, les non-dits, les problèmes. En revenant en corse pour enquêter, Diou fait un voyage autant dans l’espace qu’à travers le temps, passant d’hier à aujourd’hui, resassant sa propre histoire. Et ces allers et retours si présents, ne se font pas sans nostalgie, doutes ni troubles. C’est aussi cette nostalgie qui rend certains passages si touchants. « Je voulais rester en dehors, je voulais observer, je ne voulais pas. Et puis… Rappelle-toi, Boccanera. Qui a fait découvrir Le petit bleu et le petit jaune à Letizia ? Qui lui a montré comment claquer des doigts en rythme sur West Side Story ? Et qui lui a appris à écrire « caca boudin » avec ses pâtes en lettres ? C’est toi. C’est moi, sa tante. C’est moi. Alors je marche devant, le front baissé, les yeux brouillés.

POUR L’HUMOUR ET LE PLAISIR DE LECTURE, TOUT SIMPLEMENT. Ecrit à la première personne du singulier, ce polar, récompensé par le prix France Bleu du polar/Toulouse polars du Sud, se déguste comme une gorgée de myrte, une senteur d’immortelle ou de menthe sauvage. Il est brûlant de soleil et de rancœurs mais très drôle aussi car Michèle Pedinielli a un humour qui sait faire mouche. « En Corse, on ne conduit pas, on pilote. Sur un territoire où la seule ligne droite est racée dans la plaine orientale, c’est-à-dire bien loin d’où on se trouve, le Code de la route ressemble à une blague pour le touriste qui découvre un panneau 90 au milieu de la série de virages montagnards à la limite de l’épingle à cheveux alors qu’il peine à atteindre les 40 kilomètres à l’heure. Et c’est une entrave pour les Corses qui ne voient pas pourquoi ils ne pourraient pas doubler les pinzutu tétanisés devant eux, même si ligne blanche au milieu, pas de visibilité en face et ravin à droite. » Tellement drôle. Et tellement vrai !

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Boccanera (2018, Éditions de l’Aube, coll. L’Aube noire – 2019, Mikrós noir). La première enquête de Diou, à Nice. Un homme à la gueule d’ange lui demande d’enquêter sur la mort de son compagnon, avant d’être lui-même assassiné. Diou va sillonner la ville pour retrouver le coupable. Une ville en chantier où des drapeaux arc-en-ciel flottent fièrement alors que la solidarité envers les étrangers s’exerce en milieu hostile…

Après les chiens (2019, Éditions de l’Aube, coll. L’Aube noire – 2021, Mikrós noir). Printemps 2017. Ghjulia Boccanera tombe par hasard à Nice sur le cadavre d’un jeune Érythréen.
Automne 1943. Un jeune garçon emprunte régulièrement le sentier qui traverse la frontière franco-¬italienne pour faire passer en Italie des juifs traqués par l’occupant nazi.
Près de trois quarts de siècle séparent ces deux histoires qui se font pourtant écho lorsqu’il s’agit de franchir une frontière pour sauver sa vie.

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