ENQUÊTE SUR UN SCANDALE D’ÉTAT, de Thierry de Peretti

Film
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Le pitch

Octobre 2015. Un ex infiltré des stups, Hubert Antoine, contacte Stéphane Vilner, jeune journaliste à Libération. Il prétend pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État dirigé par Jacques Billard, patron de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants. Une enquête à même de dénoncer les pratiques les plus sombres de la République. Info ou Intox ? Un thriller politique complexe et dense, inspiré d’une histoire vraie*.

*D’après L’infiltré (Robert Laffont, 2017) écrit à 4 mains par Emmanuel Fansten (journaliste à Libé) et Hubert Avoine (ancien flic).

Pourquoi je vous le conseille ?

Pour le mélange des genres thriller, docu, politique-fiction, procédural, théâtre antique, récit mythologique. Pour la sincérité des acteurs, tous absolument justes et convaincants. Parce que la multiplication des points de vue évite l’écueil du manichéisme. Car c’est une fiction foisonnante et très documentée qui a le mérite de questionner sans assertir. Parce que c’est le film d’un auteur singulier qui réussit un thriller politique non pas guidé par l’action et les images choc mais par la parole, omniprésente et contradictoire.

INFO OU INTOX ? Assiste-t-on à une démonstration des dérives graves d’un système policier de lutte antistupéfiants qui bafoue l’État de droit ? Ou aux délires paranoïaques d’un ancien flic amer, ostracisé par sa hiérarchie, désireux de régler ses comptes avant de mourir ? En suivant de près l’enquête et les échanges entre l’ex-flic et le journaliste de Libé, aucune vérité intangible n’est assénée. Au contraire, l’incertitude même guide le récit. À la fois très naturaliste (avec des virées répétées dans la vie quotidienne des personnages), réaliste (dans son approche du métier de journaliste et des séances de procès) et abstraite, cette Enquête aborde pléthore de thèmes économiques, politiques, médiatiques, juridiques… dans la recherche d’une vérité qui toujours se dérobe. Complexe et passionnant.

JEUX DE MIROIRS. Le cœur du film bat dans cette relation en vase clos entre un ex-flic et un journaliste qui se tiennent par la barbichette, prisonniers de leurs besoins réciproques. De se raconter pour l’un, de croire en un scoop pour l’autre. Un jeu de miroirs où l’on se questionne sans cesse sur les motivations qui alimentent leurs actions et leurs échanges houleux, ambigus. Hubert Antoine (Roschdy Zem, toujours aussi exceptionnel) est totalement illisible, doté d’une identité toujours fuyante. Fascinant informateur aux propos invérifiables, obscur personnage caméléon, tour à tour infiltré, protégé, traître, sauveur, humble, narcissique… Alors, lanceur d’alerte ou mytho total ? Quel qu’il soit, il soulève des questions troublantes face à un patron des stups tout aussi insaisissable (Vincent Lindon, également excellent), ordure trafiquant à grande échelle ou chef visionnaire ? Le journaliste enfin (Pio Marmaï, itou magnifique), jusqu’au-boutiste une fois conquis, est-il instrumentalisé ou véritablement clairvoyant ? Totalement honnête ou en quête de célébrité ? Tout est possible dans le monde ambivalent où naviguent les personnages dont les métiers supposément antagonistes de journalistes, flics, juges, montrent au contraire des collusions qui s’avèrent décidément dangereuses. Une enquête qui se joue sur un échiquier géant où il est impossible de prévoir les coups, tous masqués.

LES MOTS POUR LE DIRE. Tout repose sur des discours et autres confrontation verbales dans cette Enquête de politique-fiction singulière qui se démarque des films équivalents dans l’intention qui ont fait les beaux jours du cinéma américain depuis les années 70. Interviews, déclarations publiques, prises de parles lors du procès en diffamation, conférences de rédaction, reportage télévisé, conciliabules secrets, discussions en soirées (où la drogue circule, savoureuse ironie) ou autour d’un repas dominical entre potes… Tout ici est affaire d’échanges de points vue qui ne font qu’opacifier la quête de sens. Plus le film avance et plus les versions se multiplient et se contredisent, jusque dans les conversations les plus quotidiennes et anodines. Avec un point de vue d’auteur qui se tient toujours de côté et en hauteur, faisant place à l’interprétation du spectateur qui ne sait jamais vraiment qui/quoi croire. Où le sens se dérobe sans cesse alors que l’information et les médias semblent toujours avoir un temps de retard malgré leurs efforts d’investigation, leur engagement et leur apparente bonne foi. Alors même que la guerre des gangs ne cesse de prendre de l’ampleur. Un constat qui fait froid dans le dos.

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Thierry de Peretti est un réalisateur (corse) ayant déjà 2 excellents films à son actif, sis sur l’Île de Beauté.

Les Apaches (2013), Avec François-Joseph Culioli, Aziz El Hadachi, Hamza Meziani. Corse / Extrême Sud / L’été.  Pendant que des milliers de touristes envahissent les plages, les campings et les clubs, cinq adolescents de Porto-Vecchio trainent. Un soir, l’un d’eux conduit les quatre autres dans une luxueuse villa inoccupée… La bande y passe clandestinement la nuit. Avant de partir, ils volent quelques objets sans valeur et deux fusils de collection. Quand la propriétaire de la maison débarque de Paris, elle se plaint du cambriolage à un petit caïd local de sa connaissance…

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