CUTTER’S WAY, d'Ivan Passer

Film
Bien
Très bien
Un Must
American nightmare

Le pitch

Californie, 1981. Cutter a laissé une partie non négligeable de son anatomie au Viêtnam – un oeil, un bras et une jambe. Depuis, il est devenu une épave. Un clown lyrique. Un imprécateur. Alors, quand son copain Bone, le chéri de ces dames, croit reconnaître dans le grand magnat du pétrole local l’assassin d’une pom-pom girl, il s’enflamme. Faire chanter ce riche salaud, le réduire, le détruire sera sa revanche. Un film noir magnifiquement beau et désespéré d’Ivan Passer, ancien scénariste de Miloš Forman, réfugié à Hollywood après 1968. Injustement méconnu. Il n’est jamais trop tard…

Pourquoi je vous le conseille ?

Car ce film noir délicat, d’une tendresse infinie, est trop longtemps passé sous les radars, alors que tout est beau dans ce thriller qui, très vite, se mue en réflexion philosophique. Pour une certaine vision de l’Amérique post guerre du Viêtnam, mutilée, abîmée, à jamais transformée et qui ne sait plus où ni comment se sauver. Parce que les acteurs sont aussi lumineux que solitaires et désespérés, surtout et y compris Jeff Bridges en bellâtre faussement cool, 17 ans avant The Dude du Big Lebowski. Parce que ce petit bijou tout en suggestions et en étirements de rythme, est un film existentialiste autant qu’un thriller.

UN FILM DUAL, SENSIBLE ET DÉLICAT. Ce film noir et rare dégage une atmosphère singulière, douce et raffinée, probablement née de sa naissance à une époque charnière, dans un creuset de mélancolie. En 1981, au point de rupture des Portes du Paradis (Heaven’s Gate, Michael Cimino, 1980), ou Blow Out (Brian de Palma, 1981) …quand le Nouvel Hollywood touche à sa fin et cherche à se réinventer. Le réalisateur tchèque Ivan Passer, lui-même déraciné, en exil dans cet ex-eldorado, y appose en sus une touche de mélancolie, un érotisme ambiant, une sensibilité d’Europe Centrale tour à tour tendre et acerbe. Mon tout donne un fantasme de film à la fois pleinement américain dans son contexte et souterrainement nourri de Mitteleuropa dans sa truculence, son humour caustique et angoissé.

LA FIN DU RÊVE AMÉRICAIN. L’Amérique vue par Ivan Passer apparaît sans pitié pour ses enfants, perdus et sans défense. Quelle que soit la voie choisie par cette (encore) jeune génération des années 80 – la folie, le laisser faire ou le désespoir – aucune ne semble pouvoir mener au bonheur. Et la petite ville californienne écrasée de soleil de devenir une métaphore d’un XXe siècle hanté par la fin d’un certain rêve américain. Car nous sommes dans un film de l’après : après Vietnam, après l’exil pour Ivan Passer, après la jeunesse pour nos (anti)héros, après une décennie 70 plus bienveillante avec les ruptures de ban que ne le seront les années Reagan. D’où ce mal-être générationnel que montre Passer avec sensibilité et intelligence.

UN FILM VOLUPTUEUSEMENT MYSTERIEUX ET TROUBLE. « It’s just facts, Rich… I haven’t even begun to let my imagination go. » déclare Cutter à son pote qui lui dit de ne pas s’emballer à tirer des conclusions hâtives quant à la culpabilité du potentat local. Et le fait est que rien n’est sûr. Tout est indétermination dans Cutter’s Way.  Qu’est-ce qui tient du fantasme et qu’est ce qui relève de la réalité ? Partir en guerre contre un mogul peut apparaitre comme l’ultime baroud d’honneur d’un ancien soldat, représentant d’une génération sacrifiée. Ou peut-être s’agit-il aussi bêtement pour lui de tromper l’ennui. Le mogul est-il coupable ? Bone a-t-il reconnu le meurtrier ? De quelle nature sont les rapports entre les personnages ? Peu importe car ce qui compte pour nos trois paumés, débris à l’épicentre du rêve américain, c’est de retrouver l’enchantement, le sentiment de courage du chevalier des contes. Une balade hagarde où les temps de pause et de discussion sont au cœur d’un récit où se joue une lutte entre pulsion de vie et morbidité, à une époque désenchantée. Pourtant on veut croire à une forme de résilience possible. Dans une Cité des Anges, abri des plus démunis et des âmes en déshérence qui gardent envers et contre tout l’espoir d’une guérison.

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La fiche

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Couleur / noir et blanc :