LA DERNIÈRE ROSE DE L’ÉTÉ, de Lucas Harari

BD
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Martin Eden enquête

Le pitch

Léo, jeune rêveur parisien et aspirant écrivain, se retrouve gardien d’une maison de vacances en bord de mer. Martin Eden de Jack London dans une poche, paquet de clope dans l’autre, il devient témoin et acteur d’un mystère que le soleil de l’été ne suffit pas à éclaircir. Ainsi, malgré l’atmosphère légère et surréaliste, la tension monte sur cette bande de littoral a priori idyllique. Disparitions, intrigues, jeune fille de bonne famille en détresse… Une œuvre très aboutie, d’une grâce épurée à laquelle il est difficile de résister. Une esthétique exigeante et soignée, des couleurs affirmées et un don singulier pour établir des atmosphères mystérieuses : pas de doute, c’est bien un roman graphique signé Harari.

Nb Le titre de l’album provient du poème The Last Rose of Summer, recueil The Irish Melodies (1813), de l’irlandais Thomas Moore. Chanté par Rose, l’héroïne, femme fatale, femme enfant, p123.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car ce deuxième roman graphique de Lucas Harari (après L’aimant, 2017, Sarbacane) confirme tout le bien que l’on pense de ce jeune auteur qui sait l’art de créer des atmosphères étranges et mystérieuses, dans une esthétique vintage très léchée. Pour les références multiples et variées, de Hitchcock à Jack London, de Britney Spears à Eric Rohmer. De David Lynch à la Nouvelle Vague. Et j’en passe. Pour la beauté de l’objet, un magnifique album grand format, généreux, qu’on prend plaisir à feuilleter, longtemps après avoir fini de le déguster.

 POUR L’AMBIANCE MYSTÉRIEUSE. Fondée sur des non-dits, des silences, des impasses et fausses pistes. Un roman graphique qui privilégie l’émotion visuelle à la parole, au bavardage. Où les personnages ne parlent que lorsqu’ils ont quelque chose à dire. Aussi l’intrigue est-elle moins frappante que l’atmosphère singulière qui se dégage de récit largement taiseux. Le pitch fait apparaître certains clichés hérités du roman noir pour mieux les détourner. En vacances sur une côte (fantasmée), qui évoque le farniente, le flottement du temps. Un bord de mer idéal qui tient à la fois de l’Atlantique et de la Méditerranée. Un jeune aspirant écrivain fort peu loquace, tombe peu à peu sous le charme de Rose, une jeune fille à peine sortie de l’adolescence qui séjourne avec son père dans la bien belle villa d’à côté. Derrière le jeu de la séduction et les langueurs estivales, se produisent cependant d’étranges phénomènes… Au-delà de l’apparente légèreté des vacances de rêves de riches plaisanciers aux voitures de collection et villas d’architecte, la tension monte, insidieusement. Par petites touches. À force de détails troublants. Quel don singulier possède Harari ! Savoir créer des atmosphères étranges et fantastiques. Façon Hitchcock intimiste revisité par Godard. Un rêve qui tourne au cauchemar sur fond de lutte des classes.

POUR L’ESTHÉTIQUE LÉCHÉE. L’exigence formelle de ce jeune auteur au trait classique et dynamique, en ton direct, est remarquable. Portant un soin tout particulier au découpage, comme en écho aux architectures que le dessinateur se plaît à présenter. Dans un choix de couleurs vives et pétillantes, de toute beauté. Au fil d’une narration parfaitement maîtrisée où Harari sait ménager des pauses presque contemplatives à la suite de scènes d’action. Ou encore accélérer le rythme à l’approche du dénouement et resserrer ses cadrages quand il cherche à faire monter la tension.

 POUR LES RÉFÉRENCES. Cinématographiques d’abord – jeux de lumières, importance de la musique, découpage des scènes… Lynch, Hitchcock, Rohmer et la Nouvelle Vague… La dernière Rose de l’été s’inspire du 7ème art à bien des égards, mais sans jamais en abuser.  C’est que Lucas Harari ne se cache pas d’avoir toujours baigné dans cet univers. Un grand-père acteur, Clément Harari, truculent et prolifique (200 films environ). Deux frères dans le business : Tom, chef opérateur et Arthur, réalisateur, et pas des moindres (Diamant Noir, 2017). Littéraires ensuite – Léo emprunte le destin du Martin Eden de Jack London, écrivain en devenir, sans le sou, qui s’entiche d’une jeune femme lettrée de bonne famille. Il n’a dès lors de cesse que de partir à sa conquête. Architecturales, enfin. Après l’Aimant, ce nouvel opus imaginé par Harari, lui-même le fils d’architectes, pousse d’un cran une certaine obsession pour les maisons spectaculaires de designers, sources de drames et de mystère.

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L’Aimant (2017). Éditions Sarbacane. Pierre, Jeune étudiant parisien en architecture, quitte tout pour la Suisse. Destination : les thermes de Vals, un magnifique édifice au cœur de la montagne. Sujet de sa thèse, le bâtiment aux lignes pures le fascine et l’obsède. Ces murs recèlent un mystère, Pierre en est persuadé – une porte dérobée, qu’il doit absolument trouver. Une première oeuvre remarquable.

Dans la famille Harari, je demande le frère Arthur, et son remarquable premier film, Diamant Noir (2016).

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