INFINITI, de Stéphane Pannetier et Julien Vanlerenberghe

Car cette série énigmatique explore la notion mystérieuse et passionnante d’infini et nous renvoie à des questions métaphysiques qui relèvent du sens de la vie et de sa finitude. Parce qu’elle interroge les concepts de doubles, de prédestination et de réalités parallèles. Parce que les acteurs sont formidables et totalement crédibles. Pour les steppes baignées de lumière qui contrastent avec la rudesse du quotidien kazakh. Pour l’esthétique rétrofuturiste post-soviétique, le style brutaliste et les décors sublimes. Car l’ensemble dégage une étrangeté et une menace sourde tout à fait singulières. Pour pousser la porte de la salle de contrôle du cosmodrome de Baïkonour, enclave russe louée jusqu’en 2050 au Kazakhstan, et saisir les derniers instants d’une communauté scientifique en voie de disparition.

UN POLAR MYSTIQUE. Infiniti est une œuvre inclassable. Un mélange des genres audacieux où une spationaute française (Céline Sallette, Les Revenants) et un policier kazakh (Daniyar Alshinov, A Dark Dark Man) tentent de résoudre une bien ténébreuse affaire au cœur de steppes kazakhes irradiées. Le cadavre d’un homme serait celui d’un astronaute américain supposé se trouver en mission dans l’espace. Comment expliquer l’inexplicable ? Résoudre le paradoxe de ce cosmonaute mort et vivant à la fois devient l’obsession vitale et métaphysique de nos deux héros. Où réalisme et poésie se nourrissent mutuellement. Dans cette série audacieuse, la résolution du crime convoque autant la physique quantique que les croyances chamaniques millénaires dans une approche mystique qui donne clairement matière à réflexion. Une quête spatio-spirituelle où s’estompent les frontières entre philosophie, science et religion. Qu’allons-nous chercher dans l’espace, si ce n’est nous-même ?

LES HISTOIRES DANS L’HISTOIRE. L’enquête policière, coriace, bien réelle, est enrichie de nombreux personnages qui en démultiplient les sous-intrigues. Émergence d’enjeux géostratégiques sur fond de guerre froide mal éteinte. Batailles rangées entre États déterminés à remporter la course aux étoiles. Relations ambiguës et toxiques entre la Russie et son ex-satellite, le Kazakhstan, nourries de corruption et de rapports de force constants. Dans ce contexte, l’intrigue ne cesse de résonner avec l’actualité, dans un futurisme rétrograde à l’image de la réalité du terrain (une technologie de pointe dans des bâtiments soviétique dégradés). Où les enjeux politiques et spatiaux dessinent la fin d’une époque, celle d’une conquête spatiale sans lanceurs privés. Celle de l’ISS (dont le crash est prévu pour 2031), seul endroit où Russes et Occidentaux coopèrent encore. Où les robots ne remplacent pas tout à fait les conquérants de l’espace. Cette fresque astronomique et scientifique se fait plus irrationnelle au fur et à mesure de la résolution d’un mystère qui accapare des personnages émouvants par leur complexité, leur quête existentielle, leur confrontation à des croyances ancestrales, des réalités parallèles.

ENTRE CIEL ET TERRE, IL Y A L’HUMAIN. Plutôt que de mettre en scène une série SF avec déluge d’effets spéciaux à l’américaine, où la technologie mène l’intrigue par le bout du nez, Infiniti fait le (très) bon choix d’explorer l’intime et l’expérience humaine. La réalisation inspirée et exigeante de Thierry Poiraud nous embarque dans un polar poétique et spirituel qui relève le défi d’être efficace et divertissant, avec de vrais moments d’anthologie. Une tempête de sable radioactif. Une tuerie dans un bâtiment dont les coupures d’électricité rendent la progression en aveugle bluffante de stress. Un message en morse délivré à la dimension d’une ville. Une mise en scène léchée, touchée par de vrais moments de grâce. Une beauté plastique évidente. D’une part l’espace, parfaitement exploité dans un travail d’effets spéciaux et visuels d’une rare poésie. D’autre part les paysages kazakhs à perte de vue, lunaires, malmenés par l’inconséquence des hommes (l’ex-URSS y procédait à ses essais nucléaires). Un paysage surprenant et désertique où se côtoient yourtes de nomades et fusées Soyouz. Dans Infiniti, l’infini de l’espace fait écho à l’infini des steppes, dans un équilibre constant entre ciel et terre, où l’espace nous ramène à notre condition d’humain. (Im)mortel ?