TERRE PROMISE, de Philippe Arnaud

Pour la petite histoire et la Grande, celle de la conquête de l’Ouest, de la violence des origines d’une nation qui a longtemps cherché à les taire. Car la composition de l’histoire est subtile, nuancée, construite d’allers retours chronologiques qui maintiennent sous tension tout en se faisant témoignage historique. Pour la richesse des personnages, émouvants, complexes.  Car c’est un western engagé, féministe et antiraciste.

UNE MAGNIFIQUE HÉROÏNE. C’est elle, Ellen, la véritable héroïne de ce western féministe.  « Quand il avait fallu trouver un shérif, Ellen Maplethorpe s’était imposée face aux rares candidats au poste ; c’était la meilleure gâchette de la ville, la plus motivée et elle bénéficiait d’un certain nombre d’appuis parmi les citoyens importants de la ville. Tous les gens du coin l’avaient vue grandir, et devenir cette jeune femme étonnante qui chiquait, parlait et montait comme un homme. Et les chevaux comme les hommes filaient doux en sa présence. » Au cœur d’un monde sauvage et misogyne, on éprouve un immense plaisir à suivre le destin de cette jeune femme hors du commun qui a très tôt appris à se méfier des hommes. Et qui devenue shérif s’avère aussi à l’aise avec les chevaux qu’avec les armes à feu, refusant tout net de se plier aux contraintes de son sexe. Se marier, procréer, obéir et subir.

LA PETITE HISTOIRE ET LA GRANDE. L’histoire des personnages offre un magnifique prétexte à explorer la violence de l’Amérique du XIXème siècle. Ce récit d’une vengeance, enrichi de subtiles ramifications entre le passé et le présent, permet de reconstituer l’Histoire en marche. Celle de la conquête de l’Ouest, de la soumission et du massacre des Indiens, celle aussi de la guerre de Sécession, de l’esclavage et de sa fin tourmentée. Une évocation crue et amère de l’Histoire qui se dessine à partir de destins peu enviables. Celui de Jim, un jeune sudiste, victime de ses préjugés, marqué par la culpabilité depuis l’enfance, traumatisé par la guerre, éduqué par un planteur raciste et violent. Celui de Louis, le barman noir qui chante chaque soir, inconsolable, en secret, le souvenir d’un amour perdu. Celui de Carson Brown, l’éternel esclave, fuyard à vie, à qui la liberté semble toujours échapper. Et d’autres encore qui vont se retrouver dans ce bled paumé de New Hope pour régler leurs comptes. Car finalement oui, il reste de l’espoir pour tous ces écorchés de la vie.

UN MONDE IMPITOYABLE. Puisqu’on parle d’une période où le racisme, la misogynie et la violence sont à l’ordre du jour, l’auteur a décidé d’appeler un chat, un chat.  La plume de Philippe Arnaud est crue et ne nous épargne pas certaines descriptions salement réalistes : les bordels, la prostitution, l’addiction à l’opium, la violence sociale, la guerre. La mort partout, tout le temps. Le racisme profondément ancré. Et aussi le sort peu enviable des Indiens, parqués, divisés, exploités. Philippe Arnaud sait trouver le ton et les mots justes pour faire résonner avec force ces voix singulières et bouleversantes. Sans en omettre tout le bruit et la fureur. Un très beau western, noir mais non dénué d’espérance, nerveux et torturé, traité sous un angle très contemporain, féministe, et rappelant les origines complexes de la diversité américaine.