LES ENFANTS DU BRONX, d'Adrian Nicole LeBlanc

Livre
Bien
Très bien
Un Must
Reportage littéraire

Le pitch

Un chef-d’œuvre de reportage littéraire qui décrit au jour le jour la vie d’une famille portoricaine du bronx, dans les années 80, qui a adopté la journaliste Adrian Nicole LeBlanc comme une des leurs. Et elle raconte tout : la drogue, l’argent, la misère, les amours adolescentes, les mariages, les enfants nés trop tôt. Un reportage fascinant. Un roman où tout serait vrai. Un modèle du genre.

Pourquoi je vous le conseille ?

À la fois chef-d’œuvre d’investigation et saga familiale, cet ouvrage est l’un des très grands textes de narrative non-fiction. Un roman bouleversant. C’est encore Florence Aubenas qui en parle le mieux dans la préface du roman. « Certains livres vous marquent de façon si intime, si puissante qu’on voudrait voir le monde entier s’émerveiller tout en rêvant de les garder un peu pour soi tout seul…En tout cas, vous qui n’avez pas encore commencé ce livre, vous avez beaucoup de chance : vous ne le savez pas encore, mais vous venez de gagner une deuxième vie. »

EN IMMERSION. Née en 1964, Adrian Nicole LeBlanc a grandi dans le Massachusetts. Entre un père syndicaliste et une mère militant pour la réinsertion des drogués, elle est sensibilisée très tôt aux questions sociales. Après des études de lettres et de droit, elle devient journaliste. Grand reporter, elle a toujours été proche des marginaux et des laissés-pour-compte de l’autre Amérique. Elle appartient au courant que l’universitaire Robert S. Boyton appelle les « nouveaux nouveaux journalistes » dans son livre d’entretiens Le Temps du reportage – Entretiens avec les maîtres du journalisme littéraire (Editions du sous-sol, 2021). Où Adrian Nicole LeBlanc nous en dit un peu plus sur les arcanes de la création de son non fiction narrative, une spécialité américaine plus que jamais d’actualité qui privilégie l’expérience physique, le terrain, l’expérience. Selon Boyton, l’acte de journalisme littéraire a lieu quand quelqu’un explore le monde factuel d’une manière imaginative, le but étant de le re-décrire et de commenter sous forme d’histoire en conservant un attachement fort aux faits générés par le reportage et les recherches. En matière de méthode, tout est possible. Adrian Nicole LeBlanc par exemple demande à ses sujets de lui faire faire “la visite” de leur vie, de l’emmener dans tous les lieux importants où ils ont passé du temps. Parfois, elle leur donne de quoi s’enregistrer, comme ça ils peuvent prendre des notes vocales pour elle, et ainsi lui dire des choses qu’ils n’oseraient pas dire quand elle est en face d’eux. Son implication corps et âme était telle qu’elle en arrivait à se faire oublier du milieu qu’elle investiguait. Après douze années d’immersion dans cette famille portoricaine du Bronx, l’autrice a offert une oeuvre inoubliable. Où l’élégance et la neutralité du style de l’auteur renforcent encore l’acuité de son regard, sans jugement. Une position de simple narratrice qui conforte la pertinence de son observation.

AU DÉPART, UN FAIT DIVERS. À l’origine du livre, une demande d’article de la part du quotidien où travaille la jeune journaliste Adrian Nicole LeBlanc, 25 ans à l’époque. Il s’agit de couvrir le procès de Boy George (rien à voir avec le chanteur…), tout juste 18 ans, un dealer qui gagnait plus d’1 million de dollars par semaine grâce au commerce d’héroïne. C’est pour elle le point de départ de 12 années d’immersion dans le ghetto, au sein de la communauté portoricaine du Bronx. Adoptée comme l’une des leurs, la journaliste aboutira à cet extraordinaire reportage qui se lit comme un roman où tout serait vrai. Nous suivons avec l’auteur l’enfance et le début de carrière du jeune homme. Il passe de guetteur à revendeur, puis devient producteur en un temps record. Une ascension fulgurante à l’américaine qui fera du dealer un modèle et un mythe, même des années après son incarcération

UNE HISTOIRE DE FEMMES. Mais très vite la journaliste va se désintéresser de son sujet imposé pour se focaliser sur les femmes qui l’entourent. Comme les hommes ne font pas long feu dans le quartier – la mort, la prison ou la dépendance les attendent à chaque coin de rue, avec espérance de vie de 35 ans – ce sont donc les femmes, vivant dans leur ombre, qui incarnent les véritables chefs de famille. Des femmes qui ne lâchent rien malgré l’acharnement du destin. Depuis l’âge d’or où l’argent de la drogue coule à flots jusqu’aux années de galères marquées par les visites en prison, Adrian Nicole LeBlanc raconte comment Jessica, Coco (et d’autres encore) essaient, en dépit de la violence et de la pauvreté, d’élever leurs enfants et de garder la tête haute. Des filles hautes en couleur avec qui elle se lie d’amitié, et qui parviennent à incarner, envers et contre tout, de vrais exemples de courage. Souvent personnages secondaires voire éléments de décor dans de nombreuses saga sur les gangs et autres mafias, ce sont les femmes qui sont ici les vraies héroïnes.

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Laëtitia ou la fin des hommes (2016), d’Ivan Jablonka. Ed. Points. Prix Médicis 2016. Laëtitia Perrais avait 18 ans et la vie devant elle. Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, elle a été enlevée. Puis tuée. Par la vague d’émotion sans précédent qu’il a soulevée, ce fait divers est devenu une affaire d’État. À travers cette enquête de vie, Ivan Jablonka rend Laëtitia à elle-même. À sa liberté et à sa dignité.

Très belle adaptation en série par Jean-Xavier de Lestrade (2020, 6×42). Laëtitia. Créée par Antoine Lacomblez, Jean-Xavier de Lestrade. Avec Marie Colomb, Sophie Breyer, Yannick Choirat.

L’inconnu de la poste (2021) de Florence Aubenas. Ed de l’Olivier.

« La première fois que j’ai entendu parler de Thomassin, c’était par une directrice de casting avec qui il avait travaillé à ses débuts d’acteur. Elle m’avait montré quelques-unes des lettres qu’il lui avait envoyées de prison. Quand il a été libéré, je suis allée le voir. Routard immobile, Thomassin n’aime pas bouger hors de ses bases. Il faut se déplacer. Je lui ai précisé que je n’écrivais pas sa biographie, mais un livre sur l’assassinat d’une femme dans un village de montagne, affaire dans laquelle il était impliqué. Mon travail consistait à le rencontrer, lui comme tous ceux qui accepteraient de me voir. »

 

Sulak (2014) de Philippe Jaenada. Ed Points.

Flics ou voyous, nul n’a oublié Sulak, garçon charmant, généreux, intègre. Accessoirement l’homme le plus recherché des années 1980. Déserteur de la Légion (l’avenir tout tracé, non merci), il braque des supermarchés avant de dévaliser les grands bijoutiers, de Paris à Cannes. Le fric, il s’en fout, il hait la violence : il veut épater. Itinéraire d’un gentleman cambrioleur doublé d’un roi de l’évasion.

L’adversaire (2001) d’Emmanuel Carrère. Ed Folio. Jean-Claude Romand est un homme normal. Bon père et bon époux, il a des amis et un travail intéressant. Aux yeux de chacun, il mène une vie exemplaire. Ses photos de famille ressemblent aux vôtres : on y voit le reflet d’un monde heureux. Le 9 janvier 1993, il arme sa carabine et tue de sang-froid sa femme, ses deux enfants et ses parents. On découvre alors un imposteur qui s’est inventé une vie trompeuse. Et derrière l’imposteur, un monstre froid. À partir de ce fait divers inouï, Emmanuel Carrère retrace une existence lacunaire, cherche ce qui reste d’humanité chez Jean-Claude Romand. Plus qu’un roman, plus qu’une enquête : une énigme métaphysique.

Tokyo Vice. Un journaliste américain sur le terrain de la police japonaise (Tokyo Vice. An American reporter on the Police Beat in Japan), roman de Jake Adelstein. Traduit de l’anglais (américain) par Cyril Gay (2016). Editions Marchialy. A mi-chemin entre le polar mafieux et l’enquête journalistique, Tokyo Vice est aussi le roman initiatique d’un jeune journaliste américain à Tokyo qui nous livre, avec beaucoup d’humour, un témoignage nerveux sur l’envers de la société nippone.