LA DARONNE, de Hannelore Cayre

Livre
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Très bien
Un Must
Rien à perdre

Le pitch

Patience Portefeux, 53 ans, deux filles, un chien, un fiancé flic et une vieille mère en EHPAD. Patience trime. Patience est traductrice de l’arabe pour le ministère de la Justice, payée au black. Des milliers d’heures à transcrire des écoutes entre petits dealers et grands bandits. Puis Patience franchit la ligne jaune… Hannelore Cayre est l’autrice inspirée de ce petit bijou d’humour féroce et d’humanité. Un court roman jouant joliment, par son originalité, sa fantaisie, son ton décalé, avec les codes du polar.

Pourquoi je vous le conseille ?

Pour suivre les aventures savoureuses et politiquement incorrectes d’une rebelle quinqua qui n’a peur de rien et rien à perdre. Car l’écriture acide et tonique d’Hannelore Cayre dans ce court roman au mauvais esprit communicatif, procure un intense plaisir de lecture. Parce que l’autrice, avocate pénaliste à Paris, nous donne un aperçu peu amène et pourtant nourri de réalisme, du quotidien de la Justice. Pour son point de vue acéré et sans complaisance sur la prise en charge de la vieillesse par nos institutions tout autant que pour sa compassion à l’égard des familles démunies face à la lente et douloureuse déliquescence de nos aînés.  Parce qu’on rit aussi beaucoup beaucoup malgré la noirceur du propos.

L’HISTOIRE D’UNE MÉTAMORPHOSE. Le droit même à tout, y compris au roman noir, et on s’en réjouit ! Hannelore Cayre, avocate pénaliste de formation, nous livre dans ce 5ème roman sarcastique à souhait, le portrait d’une quinqua en rébellion. Sa parfaite maîtrise de la langue arabe la fait vivoter comme traductrice (payée au noir !), à transcrire des dépositions, des interrogatoires ou des heures d’écoutes téléphoniques pour la brigade des Stups. Mère de deux jeunes femmes à qui elle n’a rien à dire, encombrée d’un héritage familial lourdissime entre père truand tyrannique et mère rescapée des camps incapable d’amour maternel, Patience, qui a trimé toute sa vie pour joindre les deux bouts, n’a plus rien à perdre. Un beau jour, sans encombre ni remords, elle décide de passer de l’autre côté de la loi. Devenue Daronne de la drogue pour assurer ses vieux jours et ceux de ses filles, Patience se métamorphose, avec un cynisme absolu, en machine à revendre et blanchir. Hannelore Cayre n’a pas son pareil pour décrire dans un style mordant et sarcastique la transformation de cette quinquagénaire désabusée mais pragmatique.

JUSTICE POUR TOUS ? Avec La Daronne, l’autrice croque la justice au quotidien, un monde à part avec son lot d’aberrations, un univers qu’elle connait sur le bout des doigts. « On met la sécurité nationale aux mains de gens qu’on méprise et ne déclare pas. C’est une patate chaude cette histoire, et chaque ministre de la Justice se la renvoie car le budget de la justice ne peut pas le prendre en charge », explique-t-elle pour décrire ce métier d’interprète. Avec le sens aigu de la formule et du dialogue qui la caractérise, elle s’appuie sur des expériences vécues et des faits avérés, comme les écoutes téléphoniques parfaitement réelles qu’elle retranscrit avec délice dans ce court roman percutant. Sous couvert d’un ton plutôt léger, elle pose un regard impitoyable sur les dealeurs à l’intellect déficient, élevés par un étrange mélange de téléréalité et d’islam rigoriste (quand ça les arrange). Donne un aperçu glaçant d’un certain déclassement social. Traite avec habileté et franchise du sort des personnes âgées dépendantes, du manque de fonds et de personnels dans les EHPADs (carrément d’actualité avec le scandale Orpéa dévoilé dans Les Fossoyeurs (2022), de Victor Castanet. Fayard), du fardeau financier et émotionnel que cela représente pour leurs proches. Un récit tout à la fois humain et sans concession de nos sociétés dysfonctionnelles où l’on économise sur l’essentiel – la justice, la santé – tout en magnifiant les dépenses carrément inutiles. Sans oublier le ton, l’humour, l’autodérision, toujours.

UNE ÉCRITURE ACIDE ET SANS COMPLAISANCE. Réjouissant. Divertissant. Politiquement incorrect. La Daronne est un précipité d’ironie où tout coule de source, d’une plume incisive où chaque phrase est peaufinée, directe, bondissante d’humour et de générosité. Une histoire malpolie où l’intrigue n’est que le prétexte à l’observation imparable de la justice d’en bas, du déclassement social, de la radicalisation des prisons, de la difficile prise en charge de la vieillesse… Le tout dans un style enlevé et efficace. Le talent d’Hannelore Cayre réside notamment dans sa capacité à raconter des histoires tragiques en faisant rire. Un roman bourré d’anecdotes (souvent vraies), d’exagérations irresistibles (et plausibles). Court et pressé. Voire trop court, on en redemande

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Entre 2004 et 2007, Hannelore Cayre a sorti trois formidables polars : Commis d’Office (2004, prix Polar derrière les murs 2005), Toiles de maître (2005) et Ground XO (2007) où elle conte les aventures de Christophe Leibowitz, avocat bas de gamme et rebelle, embarqué dans des affaires toujours louches et tirant son épingle du jeu avec un beau savoir-faire.

Et aussi Richesse Oblige (2020). Pas lu.

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