MELVILLE, LE DERNIER SAMOURAÏ, de Cyril Leuthy

Film
Bien
Très bien
Un Must
Portrait sensible

Le pitch

Fascinant portrait de l’homme au stetson et lunettes noires, Jean-Pierre Melville né Grumbach (1917- 1973), le maître français du polar.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car si le documentaire est classique dans sa forme, il s’avère passionnant grâce à l’apport d’archives rares. Car étrangement il n’y a pas tant de films qui se soient penchés sur l’œuvre de ce réalisateur référent, qui a inspiré des cinéastes aussi différents que Quentin Tarantino, John Woo, Michael Mann, Martin Scorsese ou encore Jim Jarmusch. Parce que la musique d’Eric Demarsan, compositeur sur L’Armée des Ombres (1969) et Le cercle Rouge (1970), est le plus bel habillage sonore que l’on pouvait imaginer. Car à la lumière de ce film on a l’impression de – peut-être – mieux cerner l’homme complexe et ambigu derrière la légende.

CINÉASTE PAR EFFRACTION. Ce documentaire exemplaire a l’immense vertu de donner la parole à Melville lui-même. Avec son élocution précise si caractéristique, il nous livre ses obsessions et sa détermination à devenir réalisateur, quoiqu’il en coûte, envers et contre tout et tous. Cet autodidacte ne souhaitant appartenir à aucune chapelle, y compris celle de la Nouvelle Vague dont il fut l’un des précurseurs, en vient même à construire ses propres studios dans le 13ème rue Jenner, affirmant par là son indépendance totale vis-à-vis d’une industrie dont il restera toujours à la marge. Ce perfectionniste condamné à l’insatisfaction permanente s’est progressivement brouillé avec tous les professionnels qui ont croisé ses plateaux, personne n’arrivant jamais à se hisser à la hauteur de son exigence. Transformant chaque tournage en champ de bataille, il se fâchera avec toutes ses stars : Jean-Paul Belmondo dans L’aîné des Ferchaux (1963), Lino Ventura dans L’Armée des Ombres (1969). Même avec son double, son alter ego, Alain Delon, qu’il a fait tourner dans trois films majeurs : Le Samouraï (1967), Le cercle Rouge (1970), Un flic (1972).

L’HOMME EST SON ŒUVRE. Misanthrope, paranoïaque et noctambule, son parcours est empreint d’une solitude extrême que l’on retrouve chez ses personnages. Et comme l’homme et sa filmographie ne font qu’un, son expérience dans la guerre et la Résistance nourrira tous ses récits dramatiques où la mort est souvent la seule réparation possible pour des gangsters, voyous et autre durs-à-cuire qui traversent ses films, mus par un code d’honneur bien compris de tous. Des vies en quasi-clandestinité, un rapport à la parole donnée, à la trahison, à l’héroïsme, le courage physique, le silence et la préservation des secrets, la grande technicité des savoir-faire, la morale bien comprise qui demande le sacrifice des uns pour sauver le groupe… autant de particularités que l’on retrouve chez ses voyous comme chez ses flics.

AMÉRICANOPHILE. Amoureux inconditionnel du cinéma, grand amateur des films noirs américains hollywoodiens des années 30 à 50 qu’il visionnait et faisait visionner en boucle, Melville a totalement intégré les codes du genre, pour les réinventer dans la France de l’après-guerre. Des extraits de films montrent ici l’utilisation d’une cabine téléphonique d’origine inconnue, là un bar de jazz dans le style 2ème Avenue à New York, ou encore un commissariat hérité du City Streets (Les carrefours de la ville, 1931) de Robert Mamoulian… Les voitures, les rues, les éclairages… tous ces signes témoignent de la passion de Melville pour les polars américain, à l’origine de sa vocation. Pourtant il n’en gardera que les motifs incontournables, radicalisant le genre, travaillant l’épure jusqu’à l’obsession et donnant vie à des personnages frisant l’abstraction. Stylisation extrême des décors et des costumes, dépouillement du récit, de la musique et des personnages, sobriété et sens de l’efficacité, inéluctabilité du destin tragique de ses héros : le polar melvillien se rapproche d’une forme de perfection qui hante toujours le septième Art.

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Anthologie Melville. Coffret de 12 DVD ou blu-ray. Studiocanal. Un gros coffret jeune canari qui abrite 11 longs-métrages (malheureusement manquent à l’appel Le Deuxième Souffle et L’aîné des Ferchaux), un court métrage, sept heures de bonus en tout genre ainsi qu’un livret passionnant conçu par l’historien de cinéma Antoine de Baecque.

Lequel signe également un beau livre sur notre génie du cinéma. Jean-Pierre Melville, une vie. Editions du Seuil

Le cinéma selon Jean-Pierre Melville (2021). Entretien avec Rui Nogueira, journaliste et critique de cinéma. Un classique.

Jean-Pierre Melville : le solitaire (2017). Biographie de Bertrand Tessier.

Le Paris voyou de Jean-Pierre Melville. Film de 13 minutes disponible sur Arte dans l’émission l’Invitation au Voyage du 11 octobre 2021.