LE DÉMON DES ARMES, de Joseph H. Lewis

Film
Bien
Très bien
Un Must
Chef d’œuvre maudit

Le pitch

Une histoire d’amour fusionnel de deux marginaux devenus criminels à cause de leur passion destructrice pour les armes à feu. Une œuvre à la fois mythique et méconnue. Originale et inclassable.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce que ce film qui fut un total échec commercial à sa sortie en 1950, incarne un certain idéal de la série B* : moyens limités mais mise en scène nerveuse ; scénario simple et efficace mais pas simpliste. Pour sa vitesse de narration, la violence de ses passions, son réalisme, son esthétisme, ses morceaux de bravoure et sa rareté. Car c’est l’un des premiers films, et parmi les plus convaincants, sur l’amour fou. Car cette histoire d’amour et de violence annonce, avec une modernité frappante, celle de Bonnie and Clyde.

UNE OEUVRE ORIGINALE ET NOVATRICE. Ce film de série B, contraint à un petit budget, offrira une grande liberté formelle à son réalisateur Joseph H. Lewis qui y expérimentera de nouvelles formes de mise en scène et de narration.  Il réduira notamment le scénario original de 500 pages à 125. Un dégraissage salutaire, à l’origine de l’incroyable impression de vitesse procurée par ce récit condensé, elliptique, riche de plans séquences** encore rares à l’époque et plutôt attribués à des metteurs en scène de renom tels que Welles et Wyler. Ainsi Scorsese évoque-t-il dans son Voyage à travers le cinéma américain, le plan-séquence du braquage filmé de l’intérieur de la voiture, éludant le braquage pour ne filmer que l’arrivée et la fuite. Une audace de mise en scène qui évitait la complexité et donc le coût de tourner le hold-up dans son intégralité. Un choix novateur qui permettait par ailleurs de contourner la censure qui prohibait à l’époque la représentation dans sa continuité d’un acte de braquage ou de cambriolage (au cas où ça pourrait inspirer de vrais criminels !). À noter enfin la singularité de son esthétique hétérogène qui alterne des séquences d’un réalisme quasi documentaires, tournées en décors naturels, avec d’autres tournées en studio, plus oniriques et abstraites (la fin du film est à ce titre somptueuse).

UN COUPLE FUSIONNEL. Bart et Laurie sont réunis par un commun amour fou des armes à feu (le démon du titre) qui les mènera à leur perte. La violence et le sexe sont omniprésents et indissociables dans ce film, dans la plus pure tradition du film noir. À la nuance près que les rôles sexuels y sont inversés. Laurie, déterminée et agressive, relance sans cesse l’action et la passion du couple en se jouant de la passivité et de l’indécision de Bart. Cette femme fatale (dont le béret est un attribut qui sera repris par Faye Dunaway pour son rôle de Bonnie Parker) domine son homme, vulnérable et à la sexualité ambiguë, par une masculinité toute dominatrice et castratrice. La passion de ce couple est aussi vive et violente que celle des armes, et tout aussi fatale. Sorti en deux temps, à 6 mois d’intervalle janvier et août 1950, Gun Crazy est sorti d’abord sous le Deadly is the Female (Mortelle est la femme). Tout un programme.

UNE ACTION VIVE ET SOUTENUE. Cette histoire de braquages en séries perpétrés par un couple mû par une passion fatale, est filmée avec une caméra très pressante, violente, qui suit de près toutes les étapes de cette cavale sans fin, jusqu’à sa conclusion qui ne peut être que tragique. Une caméra qui saisit l’action en direct comme en témoigne la saisissante scène du hold-up qui, selon l’expression de Paul Schrader, met le spectateur sur le siège arrière, pour en faire un témoin-complice des (mé)faits du couple.

 L’info en plus : Le Démon des Armes a été produit par King Bros, une société de production indépendante dirigée par les frères Maurice et Frank King, d’anciens gangsters qui avaient fait fortune dans le racket des machines, bien décidés à se ranger des voitures en investissant leur argent dans la production cinématographique.

* La série B ne fait pas référence au contenu du film (son genre) mais à son mode de production. C’est à l’origine un long métrage tourné avec un petit budget, de courte durée (généralement de 50 à 70 minutes), doté d’un scénario rapidement écrit et d’un temps de tournage réduit, distribué sans campagne publicitaire et projeté en première partie d’un double programme. Ce type de films était très courant durant l’âge d’or d’Hollywood (1930/50). Depuis les années 50, l’expression série B désigne, par extension, un film de fiction tourné avec de faibles moyens.

** Un plan-séquence est une séquence composée d’un seul et unique plan, restitué tel qu’il a été filmé, sans aucun montage, plan de coupe, fondu ou champ-contrechamp. C’est l’une des techniques les plus difficiles à maîtriser pour un réalisateur. Tout doit être préparé à l’avance ; les mouvements de caméra et des acteurs mais aussi des techniciens afin d’éviter que la perche son, ou une ombre non souhaitée apparaissent à l’écran. La moindre petite erreur oblige à recommencer le tournage de cette séquence depuis le début.

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La fiche

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