L’AVENTURE DE Mme MUIR, de Joseph L. Mankiewicz

Film
Bien
Très bien
Un Must
L’homme au portrait

Le pitch

En Angleterre, au début du XXe siècle, Lucy Muir, une ravissante veuve, indépendante et moderne, décide de s’installer au bord de la mer avec sa fille (la future star Natalie Wood, alors âgée de 9 ans) dans un cottage réputé hanté. Même pas peur. Or la jeune femme ne tarde pas à recevoir la visite du fantôme de l’ancien propriétaire, le capitaine Daniel Gregg, un vieux loup de mer pas commode, bien décidé à la faire déguerpir. Il ne réussit qu’à la séduire (et pour cause, c’est Rex Harrison).

Un fleuron du cinéma fantastique hollywoodien. Un chef-d’œuvre bouleversant sur la désillusion et la fuite du temps. Une histoire de fantôme, de fantasme, d’un romantisme fou, mélancolique et d’une profonde modernité, qui se démarque par son féminisme affirmé. À voir et à revoir sans modération.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce que Gene Tierney, parce que Rex Harrison, parce George Sanders, parce Bernard Herrmann, parce que Joseph L. Mankiewicz…

UNE HISTOIRE D’AMOUR, ROMANTIQUE MAIS JAMAIS MIÈVRE. Quand le marin baroudeur, malgré son caractère de cochon, dit à Mrs Muir « Je suis ici parce que vous croyez en moi. Continuez à le croire et je serais toujours réel pour vous », la jeune femme rêveuse ne peut que succomber ! Et Mrs Muir, qui avait d’abord accepté la cohabitation à contre-cœur, noue peu à peu avec lui une relation, complice puis amoureuse, d’autant plus forte qu’elle est d’emblée donnée comme impossible. Et s’il n’y a jamais de mièvrerie dans L’Aventure de Madame Muir, c’est parce que Mankiewicz réussit le pari d’être à la fois sentimental et ironique, naïf et lucide. Dans une rencontre improbable de la cruauté et de la tendresse, du cynisme et du romantisme. Une merveille d’équilibre. Où le film ne condamne jamais la naïveté, pour au contraire défendre notre part d’enfance et de crédulité. Celle qui nous fait encore croire aux fantômes et aux contes de fées. Tout le film s’appuie sur cette volonté de préserver l’enfance – et la naïveté – en soi, en dépit du temps qui passe, et de l’opinion commune. Une histoire d’amour spirituelle enfin, où de nombreux dialogues et situations irradient d’intelligence caustique et d’ironie truculente. Qui d’autre que Mankiewicz aurait pu faire dire à George Sanders, trempé par la pluie londonienne : « Il est facile de comprendre pourquoi les plus beaux poèmes sur l’Angleterre au printemps ont été écrits en Italie pendant l’été » ? Au-delà de l’humour (voire le burlesque de certaines situations) une mélancolie assumée fait pencher le film du côté de la méditation rêveuse et un peu désabusée sur les ratages de l’existence, et leurs éventuelles compensations. Car comme toujours chez Mankiewicz, l’obsession du temps qui passe est primordiale.

UNE OBSESSION DU TEMPS QUI PASSE. L’Aventure de Madame Muir ne s’encombre pas de frontières et refuse de trancher entre le rêve et la réalité pour se concentrer sur cette zone intermédiaire que l’on pourrait appeler aussi bien la rêverie que l’amour. La mise en scène joue avec cette idée en s’appuyant sur la fascination de Mrs Muir pour le tableau représentant le portrait du capitaine, ex-propriétaire du cottage, accroché dans le salon. Une image figée au regard pourtant étrangement vivant, par lequel Mankiewicz s’inscrit dans une tendance du cinéma hollywoodien des années 40, fortement influencée par la psychanalyse freudienne. Des films qui racontent l’histoire de portraits qui envoûtent, libèrent l’imagination et nourrissent les fantasmes. À commencer par le Laura de Preminger (avec la même fabuleuse Giene Tierney). Où la force de l’amour est telle qu’elle réunit les deux amants au-delà de la mort ou du temps. Comme le dit Patrick Brion, « le temps perd la valeur qu’il est habituel de lui accorder et le présent ne sert qu’à mériter l’avenir. » Où sans effets spéciaux ou presque, mais grâce à la force du récit, l’incarnation des personnages par des acteurs au sommet de leur art, la partition lyrique de Bernard Hermann, on est embarqués dans une magnifique histoire d’amour onirique et poétique, hors du temps. Qui n’empêche pas l’humour. « Cessez de jurer, Daniel ! Ne pourriez-vous pas être un revenant plus gentil ? »

UNE MADAME BOVARY (BRITISH) EN RÉBELLION. Au cadre étriqué du Londres de l’époque victorienne et de ses personnages tout aussi étriqués que Mankiewicz coince dans des plans rapprochés au début du film, s’oppose l’amplitude de la côte, de la baie, du littoral où Mme Muir décide de fuir pour s’émanciper. Lassée de l’hypocrisie et du cynisme d’une société étouffante, elle se libère de sa belle-famille et des conventions sociales en achetant cette maison en bord de mer qui lui a pourtant été déconseillée par tous les gens bien-pensants. Cette jeune femme moderne se veut du tout nouveau XXème siècle. Son allure ne rappelle-t-elle pas d’ailleurs celle des suffragettes ?  Et puisque cette Emma Bovary anglaise, frustrée par une vie terne et monotone, a toujours fantasmé une vie romanesque, elle l’aura. Car Mrs Muir se démarque par son féminisme affirmé. Elle veut se libérer de ses carcans pour devenir peu à peu maîtresse de ses choix, de sa vie. Assumer sa destinée. On vit, souffre, espère, palpite, au diapason de ses soupirs. Il n’y a pas de hasard, puisque Lucy signifie « lumière ». Et elle est lumière, éclairée de l’intérieur, illuminée par son amour pour ce capitaine qu’elle est la seule à voir

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La fiche

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Joseph L. Mankiewicz est un de mes réalisateurs favoris. Portraitiste de femmes aussi déterminées que fragiles. Sachant être drôle et gentiment mordant, particulièrement dans ses dialogues finement pensés. Une filmographie sélective qui vous en dira plus long sur l’ampleur de son talent.

 Le Château du dragon (Dragonwyck, 1946). Avec Vincent Price, Gene Tierney, Walter Huston. En 1844, la fille d’un fermier, Miranda Wells, est invitée par une relation Nicholas Van Ryn à venir faire un séjour dans sa maison pour tenir compagnie à sa fille. A son arrivée, la jeune fille trouve ses hôtes très étranges.

Un mariage à Boston (The Late George Apley, 1947). Avec Ronald Colman, Peggy Cummins, Vanessa Brown. À Boston, en 1912, le vénérable George Apley est une des personnalités les plus respectées de la ville. Bostonien de souche, il veille à ce que ses enfants soient élevés dans le respect des traditions. Seulement voilà : un soir, George Apley surprend sa fille en train de faire une bataille de boules de neige avec un jeune homme qui n’a rien d’un gentleman de la haute-société.

Chaîne conjugales (A letter to three wives, 1949). Avec Jeanne Crain, Linda Darnell, Ann Sothern, Kirk Douglas. Deborah Bishop, Rita Phipps et Laura May Hollingsway partent en croisière laissant leurs maris respectifs. Mais avant de partir, elles reçoivent une lettre d’une de leur amie commune, Addie Ross, dans laquelle elle prévient qu’elle part avec le mari de l’une d’entre elles. Mais lequel ?

Eve (All about Eve, 1950). 2h18. Oscar du meilleur scénario adapté, Oscar du meilleur film. Oscar du meilleur acteur dans un second rôle. Oscar du meilleur réalisateur. Prix d’interprétation féminine au festival de Cannes. Et j’en passe… Avec Bette Davies, Anne Baxter, George Sanders, Celeste Holm, Gary Merrill. Le Prix Sarah-Siddons, attribué à la meilleure actrice de théâtre de l’année, est décerné à Eve Harrington que toute l’assemblée applaudit, sauf deux femmes… et leurs maris. Celles-ci, par un long flashback, nous apprennent « tout sur Eve ».

On murmure dans la ville (People Will Talk, 1952). 1h50. Avec Cary Grant, Hume Cronyn, Walter Slezak, Jeanne Crain. A la faculté de médecine d’une petite ville de province, le brillant docteur Praetorius aide une jeune femme enceinte et en tombe amoureux. Il est en même temps confronté aux attaques d’un collègue jaloux, qui fouille dans son passé et le suspecte d’être un charlatan.

 L’affaire Cicéron (5 Fingers, 1952). 1h48. Avec James Mason, Danielle Darrieux, Michael Rennie. D’après l’œuvre de Ludwig Carl Moyzisch, qui s’inspire très librement de faits réels survenus lors de la Seconde guerre mondiale. En 1944, Diello sert un ambassadeur anglais à Ankara, en Turquie. Il en profite pour livrer des photographies de documents secrets alliés aux Nazis sous un nom de code : Cicéron. La comtesse polonaise Anna Staviska fait mine de l’aider.

La comtesse aux pieds nus (The barefoot contessa, 1955). Avec Ava Gardner, Humphrey Bogart, Edmond O’Brien. A l’enterrement de Maria Vargas, sous la pluie, Harry Dawes se souvient…Engagé par le producteur Kirk Edwards pour réaliser un film, ils découvrent leur vedette un soir dans un cabaret de Madrid : Maria Vargas. La danseuse devient alors Maria Vargas, une star hollywoodienne adulée. Mais celle-ci se sent terriblement seule et rêve de rencontrer son prince charmant. Elle finit par le trouver sous les traits du conte Vincenzo Torlano-Favrini, un séduisant milliardaire. Ils se marient, mais Vincenzo cache un terrible secret.

Soudain l’été dernier (Suddenly Last Summer, 1960). D’après Tennessee Williams. Avec Elizabeth Taylor, Montgomery Clift, Katharine Hepburn. A la Nouvelle-Orléans en 1937, une riche veuve, Violet Venable, propose de financer l’hôpital public Lyons View si l’un de ses praticiens, le docteur Cukrowicz, accepte de pratiquer une lobotomie sur sa nièce Catherine Holly. Celle-ci est internée depuis le décès mystérieux, durant un périple estival, de Sebastian Venable, poète et fils de Mrs Venable. La version que raconte Catherine du décès de Sebastian paraît tellement loufoque, que Violet la croit folle à lier. Avec l’aide du Dr Cukrowicz, Catherine va peu à peu recouvrer la mémoire jusqu’à révéler une vérité que certains auraient préféré rester enfouie.

Cléopâtre (Cleopatra, 1993). Le fameux peplum. 4h11 !  Avec Rex Harrison, Richard Burton, Elizabeth Taylor. Le pitch est dans le titre.

Guêpier pour trois abeilles (The Honey pot, 1967). Avec Rex Harrison, Susan Hayward, Cliff Robertson. Une représentation privée de la célèbre pièce de Ben Jonson, « Volpone », au théâtre Fenice de Venise, donne au très riche Cecil Fox l’idée de se moquer de ceux qui, se disant ses amis, n’en veulent qu’à sa fortune. Pour ce faire, il engage William McFly, un secrétaire, et invite dans son palais vénitien trois anciennes maîtresses, Merle McGill, la princesse Dominique et Lone Star Crockett Sheridan, afin de leur faire connaître ses dernières volontés. Les trois belles éplorées débarquent sans savoir qu’il y aura une redoutable concurrence.

Le Limier (Sleuth, 1973). 2h18. Avec Laurence Olivier, Michael Caine, Alec Cawthorne. Sir Andrew Wyke, un riche auteur de romans policiers anglais, a invité Milo Tindle, un coiffeur londonien d’origine plus modeste, à lui rendre visite dans sa somptueuse résidence, aménagée et décorée avec un art consommé du trompe-l’oeil. Maniaque de l’énigme et de la mystification, cachant mal son mépris pour ce parvenu dont il connaît la liaison avec son épouse Marguerite, Andrew lui propose de simuler un cambriolage pour toucher l’argent de l’assurance. Milo, impressionné par Wyke, accepte.

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