LA RÈGLE DU JEU, de Jean Renoir

Film
Bien
Très bien
Un Must
Attention chef-d’œuvre

Le pitch

1939. À l’occasion d’une partie de chasse organisée par le marquis de la Chesnaye, la comédie des sentiments et des conventions sociales va céder la place à un chassé-croisé amoureux entre maîtres et serviteurs et au jeu cruel de la vérité. Jusqu’au meurtre. Une œuvre devenue culte après avoir été maudite, mutilée, censurée, interdite. « Le film des films » selon Truffaut. Une œuvre éternelle, qui parle d’hier comme d’aujourd’hui.

Pourquoi je vous le conseille ?

Parce que cette partie de chasse macabre est annonciatrice d’un massacre historique à venir. Car sous couvert de légèreté, Jean Renoir y dénonce la haute société française, cynique et désabusée, qui préfère se vautrer dans l’insouciance et la vanité alors qu’on entend le bruit de bottes. Car ce film est un miracle de grâce et de gravité. Un pur délice, brillant, léger et piquant qui fournit son lot de richesses thématiques et un sentiment diffus d’éternité. Parce que, comme toutes les grandes œuvres qui échappent à leur époque, elle nous parle d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, si proches de nous dans leurs doutes, leurs faiblesses, leurs contradictions. Car derrière la farce pessimiste, Renoir reste un humaniste, avant toute autre chose.

LE MONDE EST UN THÉÂTRE. En cette année 1939 quand Renoir démarre le tournage de La Règle du Jeu, la guerre, inévitable, approche et les sociétés démocratiques semblent étonnements atones. Jean Renoir : « Je l’ai tourné entre Munich et la guerre et je l’ai tourné absolument impressionné, absolument troublé par l’état d’une partie de la société française, d’une partie de la société anglaise, d’une partie de la société mondiale. Et il m’a semblé qu’une façon d’interpréter cet état d’esprit du monde à ce moment était précisément de ne pas parler de la situation et de raconter une histoire légère, et j’ai été chercher mon inspiration dans Beaumarchais, dans Marivaux, dans les autres classiques de la comédie. » Renoir choisit ainsi d’adapter très librement les Caprices de Marianne en imaginant un vaudeville avec des jeux d’amours et de dupes où s’entrelacent les couples et leurs faux-semblants. Un théâtre qui prend l’apparence d’une magnifique demeure en Sologne où la belle société se distrait en même temps que la sincérité se défait. Traquenard des bonnes manières qui virent à la sauvagerie. Car la société est un spectacle, un monde en constante représentation, où derrière le marivaudage se trame le drame.  On ne badine pas avec l’amour disait le poète. Et les « salades de l’amour » révèlent ici une humanité complexe qui joue avec ses illusions, triche avec les règles, et solde ses comptes. Dans ce « drame gai » (dixit Renoir) chacun joue son rôle selon ses propres règles. Des règles du jeu qui peuvent changer en cours de spectacle pour finir par muer une fantaisie en drame. Analysant ce moment où aristocrates et garde-chasses, grands-bourgeois et domestiques, voient leurs destinées ensemble basculer. Pactes, mensonges, alliances contre-natures. Qui est avec qui ? Qui se sert de qui ? Qui se fait passer pour quoi dans ce jeu de société, où le fossé se creuse ? Une seule règle triomphera au final. Je vous laisse découvrir laquelle.

NOUS DANSONS SUR UN VOLCAN. « Le côté symbolique du film, c’était quelque chose que je portais en moi depuis longtemps et j’avais très envie depuis très longtemps de faire une chose comme ça, de mettre en scène une société riche, complexe et tenez, vous savez quel est le mot, un mot qui m’a amené peut-être à faire ce film, […] c’est : « Nous dansons sur un volcan ». Mon ambition en commençant ce film était d’illustrer « Nous dansons sur un volcan ». » Faisant preuve d’une grande lucidité, Renoir matérialise ses angoisses dans ce film somme. Dévoilant son point de vue très noir sur la classe des élites dominantes et déliquescentes, repliées sur leurs valeurs dépassées, sûres de leur bon droit et vivant quasiment en autarcie. Un film prophétique où le ton, enjoué et aimable, cache une satire de la classe dominante, désengagée face à la menace fasciste. La Règle du jeu annonce, avec un pessimisme profond et désenchanté, la fin d’une époque, sous une forme chorale, satirique, sombre, à cheval entre comédie et drame. Un film si déroutant qu’il essuya un sévère échec commercial à sa sortie, les spectateurs se reconnaissaient probablement eux-mêmes dans cette société en décomposition, dans ce film de guerre sans guerre. Or « Les gens qui se suicident n’aiment pas le faire devant témoins » analysera Renoir rétrospectivement.

UN BALLET CINÉMATOGRAPHIQUE. La règle du jeu ressemble d’abord à s’y méprendre à un spectacle léger et bouillonnant. Où Renoir met en scène un jeu de société grandeur nature comme un ballet, dans une magnifique leçon de cinéma où, en dépit de sa légende d’improvisateur brouillon, le réalisateur s’y révèle en maître d’œuvre totalement novateur. Grâce à une grande mobilité de la caméra, il y décrit de manière joyeuse les libres échanges entre les différents personnages qui se croisent sans cesse, dans un enchaînement rapide. Le montage recourt à des ellipses temporelles régulières. Les décors se succèdent avec une grande fluidité, grâce à l’utilisation virtuose de plans séquences et de plans larges caractérisés par une grande profondeur de champs, unissant l’avant-plan et l’arrière-plan dans une valorisation égale de tous les personnages. Relevant le défi de nous rendre véritablement sympathiques les acteurs de cette pièce tragique et mélancolique. On retrouve le regard affectueux, voire contemplatif, de Renoir dans le personnage d’Octave qu’il interprète. À la fois lâche et franc du collier, il incarne à l’écran toute la tristesse et la clairvoyance propres à la vision du cinéaste, ainsi que l’entreprise de démystification toute à la fois amusée, grave et fascinante que représente ce chef-d’œuvre intemporel qu’est La Règle du jeu.

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La fiche

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Jean Renoir est un géant. À la fin des années 30, au moment du tournage de La Règle du Jeu, il est acclamé, reconnu par la critique et auréolé de succès retentissants.

Il a adapté Gorki avec Les Bas-fonds (1936) et Emile Zola avec La Bête Humaine (1938). Puis s’est fait le chantre du Front Populaire avec des films qui regardaient l’avenir avec espoir comme Le Crime de Monsieur Lange (1936), La vie est à nous (1936) ou bien La Marseillaise (1938) (malgré l’échec de ce dernier). Et enfin réalisé une œuvre pacifique et bouleversante avec La Grande Illusion (1937).

Il est également à l’origine de très beaux drames, noirs et

La Chienne (1931). Un film noir avec Janie Marèse, Michel Simon, Georges Flamant. Marié à une veuve acariâtre, M. Legrand a un violon d’Ingres : la peinture. Il tombe sous le charme de Lulu, une jeune femme exploitée par un souteneur. Celle-ci va abuser de sa crédulité et provoquer sa déchéance.

La nuit du carrefour (1932) Avec son frère Pierre Renoir dans le rôle de Maigret.

Toni (1935). Avec Charles Blavette, Celia Montalvan, Jenny Hélia. Comme beaucoup de ses compatriotes italiens, Toni débarque en train pour travailler en Provence. Les années passent et Toni vit désormais avec Marie, sa logeuse. Mais il est en fait amoureux d’une immigrée espagnole Josefa, que le contremaître de Toni convoite également. Tout cela finira mal.

Une Partie de campagne (tourné durant l’été 1936 mais sorti en 1946). Avec Sylvia Bataille, Georges Darnoux, Jacques Brunius. Par une torride journée d’été, la famille Dufour quitte Paris pour Bezons-sur-Seine. Monsieur Dufour, accompagné de sa femme, sa belle-mère, sa fille et son commis, s’arrête dans une charmante auberge en bord de Seine. Tandis que le déjeuner sur l’herbe est dressé, deux canotiers viennent à leur rencontre. La chaleur et le vin aidant, il est décidé que Madame Dufour et sa fille, Henriette, iraient faire une promenade en yole sur les eaux du fleuve en compagnie des deux jeunes hommes. Lorsque les bateaux quittent la rive, le ciel se charge de gris et annonce l’orage à venir.