LE SERPENT ET LE COYOTE, de Matz et Philippe Xavier

BD
Bien
Très bien
Un Must
Mortelle randonnée

Le pitch

1970, dans l’Amérique de Nixon et de J. Edgar Hoover. La rencontre improbable entre un (ex)truand repenti plutôt sympathique, fuyant et insaisissable, sillonnant l’Ouest sauvage en camping-car, et un coyote qui passait par là. Le charme opère dans ce périple semé de cadavres. Dans une Amérique à l’ancienne, sans portables ni caméras de surveillance. Ce road trip en cinémascope, au scénario efficace plein de rebondissements, magnifiquement mis en valeur par le dessin ample et fluide de Xavier, se lit et se relit avec plaisir en goûtant les innombrables références cinématographiques.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car ce road-movie ample et tendu évoque la genèse (plutôt chaotique) du programme fédéral de protection des témoins qui a fait florès. Parce que Joe, vrai-faux gangster repenti non dénué d’humour, nous balade dans l’Amérique en déshérence des années 70. Son désert, sa mafia, son FBI mené par Hoover, omnipotent patron bien décidé à remettre de l’ordre dans ce pays qui souffre de la grande délinquance. Car Philippe Xavier, au dessin, est magistral de réalisme et met parfaitement en rythme le scénario bien huilé de Matz. Pour savourer les clins d’œil au cinéma de genre, d’Il était une fois en Amérique aux Affranchis.

POUR LE CONTEXTE HISTORIQUE. En 1970, l’assassinat des Kennedy, encore ultra frais dans les mémoires, a laissé des traces profondes dans la société américaine. Et l’emprise croissante de la mafia entraîne la promulgation de la Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act. Selon lequel Hoover renforce le FBI et met en place un programme fédéral de protection des témoins et des repentis (le fameux Witsec, Witness Security Program que l’on retrouve dans pléthore de polars), surveillés par les Marshals du département de la justice, pas très habitués (ni très enclins) à protéger des criminels notoires. L’intrigue s’inscrit dans la mise en place de ce nouveau dispositif balbutiant et donc très imparfait, soulevant autant de méfiance chez les mafieux que chez les flics.

JOE, SERPENT SOLITAIRE, MALIN COMME UN SINGE. Joe est un truand « repenti ». Non pas qu’il regrette ses crimes, loin sans faut. Mais il est devenu témoin fédéral pour sauver sa peau. Joe est donc une « balance ». Il n’est pas perdu, pas vraiment en cavale non plus, même si ça y ressemble fort. Il se raconte à un coyote qui passait par là et qui ponctue ce monologue de « wif ! » et de « wouf ! ». Joe sillonne le pays incognito. Comme un vieux serpent, il ondule furtivement sur la carte des États-Unis, sans faire de bruit, sans laisser de traces. Un serpent toujours redoutable, qui continue de piquer quand on s’approche de trop près. La confession intime d’un truand qui ne se fait pas sur le divan d’un psy, mais au volant d’une camping-car miteux. « On the road again ». Avec un zeste d’humour de bon aloi.

UN GRAPHISME CLASSIQUE ET LUMINEUX. Le beau dessin de Philippe Xavier, à la facture franco-belge classique, marque par son graphisme ample, nerveux et élégant. Magnifiquement mis en lumière par les couleurs de Jérôme Maffre, il convient parfaitement à ce récit des grands espaces qui se caractérise par la profondeur, l’espace, la vibration de l’air chauffé à blanc. On se croirait au début du Duel de Spielberg ou dans les premières minutes de Point limite zéro de Richard C. Safarian, quintessence du road-movie américain des années 1970.

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Duo de choc : Philippe Xavier (Croisade), le dessinateur, et Matz (Le Tueur, avec Jacamon, Le Taoueur), le scénariste, n’en sont pas à leur coup d’essai. Avec la série Tango, ils ont déjà proposé un vieux loup solitaire dans les immenses paysages d’Amérique du Sud. Chez Xavier (ConquistadorCroisadeHyver), le décor est comme un personnage. Le soin qu’il lui apporte donne une autre dimension au récit.

Petit dernier de Matz : Surface, d’Olivier Norek, Matz, Luc Brahy (Michel Lafon). Adaptation en bande-dessinée du roman éponyme d’Olivier Norek, sis dans un village paisible de l’Aveyron. Une capitaine de police est exilée loin de la capitale après un accident et se retrouve avec une affaire vieille de 25 ans sur les bras.

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Le programme de protection des témoins :

  • Version trash : Les Affranchis, film américain de Martin Scorsese (Goodfellas, 1990, 2h25). Avec Ray Liotta, Robert de Niro, Joe Pesci. Interdit aux moins de 16 ans. Depuis sa plus tendre enfance, Henry Hill, né d’un père irlandais et d’une mère sicilienne, veut devenir gangster et appartenir à la Mafia. Adolescent dans les années cinquante, il commence par travailler pour le compte de Paul Cicero et voue une grande admiration pour Jimmy Conway, qui a fait du détournement de camions sa grande spécialité. Lucide et ambitieux, il contribue au casse des entrepôts de l’aéroport d’Idlewild et épouse Karen, une jeune Juive qu’il trompe régulièrement. Mais son implication dans le trafic de drogue le fera plonger…
  • Version fun : Malavita, de Tonino Benacquista (2004, éditions Gallimard). Frederick Blake, sa femme et leurs enfants, américains, emménagent dans un coin perdu de Normandie. Pourquoi ont-ils quitté leur pays, eux qui jouissaient d’une situation enviée ? La faute en revient à Frederick Blake, de son vrai nom Giovanni Manzoni, ancien chef de la mafia, promis à un brillant avenir. Quelle a été la faute commise, assez importante pour justifier la protection de sa famille et de lui-même par le FBI et son expatriation en Europe ? Lors de son arrivée dans sa nouvelle maison, Fred décide d’écrire ses mémoires.