CABOCHE, de Joshua Hale Fialkov et Noel Tuazon

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Tumeur

Le pitch

Dans les bas-fonds de Los Angeles. Un détective privé atteint par une tumeur cérébrale avancée enquête sur la disparition de la fille d’un parrain de la pègre.  Graphiquement déstabilisant mais finalement beau, Caboche renouvelle à sa manière le genre si codifié du roman noir. Chapeau bas.

Pourquoi je vous le conseille ?

Car sous les clichés du récit de détective privé hard boiled se dessine une tout autre histoire, terrifiante et réaliste. Parce qu’en dynamitant les archétypes du roman noir, Caboche se révèle être une expérience narrative et visuelle unique. Car ce polar noir tire sa puissance et son originalité d’une construction narrative patchwork mais néanmoins limpide.

DANS LA TÊTE DE FRANCK. Abondante en bande dessinée (Dick Tracy, Gil Jourdan, Ric Hochet, Alack Sinner, Canardo, Blacksad, Jack Palmer…), la figure du détective privé n’a pas épuisé toutes les possibilités de la littérature graphique. En témoigne cette proposition hautement originale d’un privé atteint d’une tumeur au cerveau, dont la mémoire vacille et le corps se délite alors que son enquête progresse, tant bien que mal, dans le désordre, selon une narration chaotique et toujours surprenante. Si le narrateur est à première vue un loser comme on en croise pléthore dans les polars, avec ses figures typiques et son cadre urbain interlope, cette variation du genre sous la plume de Fialkov et le dessin de Tuazon prend une dimension originale et poignante. Nourrie par des flash-backs sur une ville, une vie, une femme tant aimée. Autant de souvenirs tragiques qui reviennent en boucle alors même que ses efforts pour rester focalisé sur son enquête soulignent la brutalité de la maladie dans sa réalité crue.

UN RÉCIT TORTUEUX. Aux péripéties qui émaillent les investigations de Frank s’ajoute sa lente désagrégation mentale et physique, faite d’hallucinations et de décalages temporels. On dit souvent qu’au moment de mourir, on voit sa vie défiler en accéléré devant ses yeux. Pas de fast forward pour Frank qui doit s’arranger avec une tumeur au cerveau qui lui fait subir des bonds aléatoires dans le temps, le laissant égaré et paniqué dans son sprint contre la mort. Une perception « fluide » du temps avec laquelle il doit s’accommoder. Par exemple, il se réveille dans un lit d’hôpital et nous dit « Il y a une minute, j’étais devant une usine de nouilles chinoises avec un reprise de justice, et maintenant je suis là. » Un déficit de concentration de plus en plus patent qui ajoute du noir au noir, de la souffrance à la souffrance « Je mélange tout, et je perds sans arrêt le fil. Comme si je lisais un livre avec la télé allumée et qu’en plus on frappait à la porte. » Ce qui amène une construction en patchwork rappelant par moment Memento (Christopher Nolan, 2000). Entre conscience et inconscience, paralysie temporaire, perte de connaissance… Fialkov  a clairement investigué sur les tumeurs au cerveau pour nous faire toucher du doigt là où la maladie abîme la perception de la vie au point de la transformer en cauchemar.

LE DESSIN BRUT ET SOMBRE DE TUAZON. Au diapason du récit, noir et désespéré, le dessin « brut de décoffrage » de Tuazon peut paraître bâclé de prime abord. Ne vous y trompez pas, c’est tout l’inverse. Il accentue le malaise. Un dessin nerveux, charbonneux, tantôt vaporeux, tantôt fébrile, en parfaite résonnance avec le sentiment de mort imminente et les migraines abominables qu’éprouve Frank du fait de ce cerveau rongé par une tumeur qui ne laisse aucun doute sur l’issue du récit.

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À découvrir ailleurs, dans la même ambiance

Memento, film culte de Christopher Nolan (2000). Avec Guy Pierce, Carrie-Ann Moss, Joe Pantoliano.
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Sin City (1991-2000), 7 tomes, de Frank Miller. Sombre, poisseux et accentué par le dessin fou et à la limite du dérangeant de Miller, Sin City est un monument incontournable du comics.